lundi 17 novembre 2014

Et même crier au ciel, s'il le veut







La nuit est agitée. Impossible de dormir avec ces éclairs de chaleur.  Il est quatre heures du matin, Constantin est debout dans sa chambre. Debout, bien avant les moines. Et seul,  plus seul que jamais. Bruxelles est si loin.

Il y a dix jours, les trappistes ont enterré un des leurs. Il a peint la scène. D’une tristesse infinie,  mais son pinceau n’a pas tremblé. Est-ce la peinture qui le possède enfin ? Cette pensée le traverse tandis qu’il ferme la porte derrière lui, doucement,  pour ne réveiller personne.

Devant lui se tient l’aube. Frémissante, dans son dénuement. Le chevalet sur le dos, Constantin fait quelques pas. Il jette un dernier regard sur  l’abbaye où bientôt vont se réveiller ces hommes qu’il a appris à aimer. 

Et maintenant avancer, se dit-il, ne plus retourner. Plus jamais. Ora et labora, cette règle est bonne pour ces religieux cloîtrés, pas pour lui.
Constantin Meunier a 32 ans, il rentre à Bruxelles. Il va pouvoir parler à nouveau avec son maître et ami Charles De Groux. A nouveau rire, chanter et même crier au ciel, s'il le veut. Wetsmalle-la-rigide sera loin derrière lui.

"Il y a eu pour ainsi dire deux vies dans ma vie", écrira-t-il bien plus tard dans une lettre non datée  à Georg Treu, le directeur du Musée de Dresde.

Ce matin de 1860, l'artiste, dans sa fuite à travers la campagne, croise deux moines laboureurs. L'un est plié sur la charrue, l'autre, adossé aux bêtes, semble être apaisé et en parfaite harmonie avec la nature. L'image saisit profondément Constantin qui immortalisera la scène trois ans plus tard.  Celui que l'on va appeler le peintre des ouvriers et des mineurs est pour la première fois de sa vie confronté au travail. Aux mouvements à la fois simples et amples du travail. 

Constantin Meunier rejoindra définitivement Bruxelles en 1875, après le décès inopiné de son ami Charles De Groux. Il se jettera alors, tête baissée, dans le monde bruyant des aciéries, des charbonnages. Dans la grande roue du 19ème devenu industriel,  et dont il sera,  pour toujours,  le témoin le plus flamboyant.





'Rétrospective Constantin Meunier (1831-1905)
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique jusqu'au 11-01-2015