mardi 29 avril 2014

Un enfant s'est endormi



Avril. La tête contre la vitre du tram,  entre Louise et Darwin, il cherchait du regard une issue, une percée, au-dessus des toits.  Il était à Bruxelles depuis 15 ans. 15 ans sans dormir. 15 ans debout-travail-sandwich-travail-couché. 15 ans à se perdre dans l’air sec des grands bureaux. iI était devenu sec. Stéphanie, Faider, Janson, comme un serpent déterminé le tram filait jusqu’à Ma campagne. C'est là qu'il glissa. Lentement et les yeux fermés.  
Comme dans les photos d’Anne-Sophie Costenoble, un enfant s'est endormi.




Puis s'approchèrent, intriguées, deux vaches, museaux humides.  Plus loin, un cheval. Dans un pré,  une balançoire oubliée. Une paire de lunettes sur une table. Un lit défait. Des mains ridées. Souvenirs de ferme. Un bal aussi, pas très loin de l’Escaut. Et un baiser maladroit. Une nuque. Qu'il n'oubliera jamais.  Voilà. 














Il remonta peu à peu à la surface, aidé par les cahots du tram. Descendit à Darwin. Fut surpris par l'air frais de ce soir d'avril. 







Expo photo d'Anne-Sophie Costenoble, Valérie Callewaert, Marguerite Lagage et Marina Pierard. Jusqu'au 25 mai au Lavoir-conseils, 'Lave, ris et parle', 105, rue de Boncelles, 4102, Ougrée.
Anne-Sophie Costenoble est membre du collectif 'Caravane'
www.acostenoble.be www.acostenoble.be




samedi 19 avril 2014

Le volet mécanique


Bruits d’oiseaux au dessus du parc de Forest. Le soleil entre en scène. Hop, se lever.  Il est tôt mais c’est pas grave. Les os craquent un peu. Dégager un coin de table en poussant les restes d’hier. Prendre un café. Un chat à la fenêtre d’en face. Repenser à cette fille. Ses yeux, sa voix claire, son cul. Sous la douche se surprendre à siffler. Une première. Ca fait un bail.  Choisir un tee shirt dans l’armoire. Le respirer avant de l’enfiler. Et claquer la porte. Ecouter la porte qui claque. Quatre à quatre descendre les marches, la cage d’escalier, le voisin René et partout les yeux de la fille d’hier soir. La rue. Le soleil posé sur un toit, prêt à chauffer. Longer le parc vers Saint-Gilles. Sentir l’hiver qui capitule. En douce. En pente douce. Saint-Gilles est une pente douce. L’hôtel de ville,  la Barrière. Se demander d’où vient ce nom.  Le parvis qui s’ébroue. Un chien qui baille. Premières terrasses. Et quelques chaises encore frileuses. Au Verschueren, reprendre un café.  Juste un. Pour la route, pour le printemps, pour cette fille. Se dire que tout va bien. Que tout ira bien, désormais. Sortir du Verschueren. Vers la porte de Hal. Les mains dans les poches.  Et soudain, au milieu de l'avenue Jean Volders,  apercevoir cet homme. Figé. Devant le volet mécanique de son magasin.




dimanche 13 avril 2014

La chanson d'une ville






- Cette ville pue la mort, toute l’Europe pue la mort.

Je songeais ce matin à cette phrase terrible et prophétique du doutor Pereira, traînant ma carcasse avec S. sur les pentes du Bairro Alto.
L’année 1938,  le Portugal de Salazar et ce journaliste solitaire qui, contre toute attente, décide d’abandonner sa petite vie tranquille, de réveiller sa conscience et de rentrer en résistance.  A travers ces pages, l’Italien Tabucchi y dénonçait par la même occasion le fascisme italien et la guerre civile espagnole. Un coup de maître. Le livre, Sostiene Pereira est  sorti à Rome en 1984 quelques mois avant la victoire de Berlusconi et connut un immense succès de librairie. Quelques années plus tard, le doutor Pereira deviendra d’ailleurs un symbole pour l’opposition de gauche.

Mais Pereira prétend c’est aussi le roman d’une ville, Lisbonne.  A la fois puissante et lascive. Aimante. Omniprésente. Un privilège que, de Dublin à Trieste, seules quelques villes en Europe se partagent. Comme un souffle capturé, une intensité inscrite dans la durée.   
Assis maintenant face à S. au fond d’un restaurant d’Alfama, je prends brusquement conscience que Bruxelles, - Bruxelas, comme on la nomme ici – ne l’a pas, elle, 'son roman'…Et j’ai beau chercher, je n’en trouve aucune trace.  Comment expliquer cette absence, cette désertion ? Et pourquoi suscite-elle si peu d'inspiration à nos auteurs qui, dans leur grande majorité, lui préfèrent Paris ? 



En sortant du restaurant, Lisbonne, la bienveillante, nous prend par la main et nous amène au bord du Tage. S. , que mes élucubrations fatiguent, s'assied sur un banc. Je m'avance vers le fleuve, large et apaisant. Mes yeux se tournent vers le Nord, instinctivement. Et c'est alors que je perçois quelques notes de piano, reconnaissables entre toutes, le commencement du commencement d'une chanson, une ritournelle qui, au fond je le comprends à l'instant,  ne m'a jamais vraiment quitté.
Et qui, faute d'un grand roman, m'a fait aimer ma ville.








vendredi 4 avril 2014

Le crépuscule de Genet






Dans le cimetière chrétien de Larrache, écrasé sous le soleil,  j’ai longtemps cherché la tombe de Jean Genet. J’ai fini par la trouver au bout d’une allée vide et sèche.  Une stèle blanche, en marbre, sans croix, avec deux dates gravées : 1910 - 1986.  Nul bruit tout autour sauf celui, à peine perceptible, de l’océan,  quelques dizaines de mètres plus bas, aux pieds des falaises de Larrache.
L’Atlantique, le Maroc, et Mohamed. Son dernier ami. Un peu plus loin dans la ville, Jean Genet lui avait fait construire une maison.  Grande, spacieuse, à la française. Et surtout avec une bibliothèque.  Il avait croisé Mohamed Katrani quelques années plus tôt dans les rues de Fès. Le jeune homme avait fui l'armée et errait dans les souks de la vieille ville. Il lui renvoyait sa propre image : désertion,  délinquance, vol, prison. L'écrivain français l'a aussitôt pris sous sa protection, s'est arrangé  pour lui trouver un passeport et le faire venir à Paris. En France, Mohamed s'est marié,  un fils est né. Et Genet choisit le prénom,  Ezzedine,  en hommage  à Ezzedine Kalak, représentant de la Palestine à Paris et  assassiné en 1978. 


Jean Genet est mort le 15 avril 1986 dans une chambre d’hôtel, à Paris.
Entre temps, Mohamed et Ezzedine étaient rentrés à Larrache où Genet revenait souvent. Il considérait d'ailleurs Ezzedine comme son petit-fils. Un soir, à Rabat, il a retrouvé Leila Shahid, une amie palestinienne de Paris, proche de Kalak et installée depuis peu au Maroc avec son mari, l'écrivain Mohamed Berrada. La Palestinienne exilée fascine l'auteur des Bonnes et du Balcon. Ils se voient alors de plus en plus fréquemment. Parlent de leurs amours  ( - A chacun son Mohamed, lachait souvent Leila, en forme de boutade), de leurs combats. Et bien sûr de la Palestine. L'écrivain, abandonné dans l'enfance par ses parents, veut comprendre l'exil et l'enfermement d'un peuple.  Il veut voir les camps, parler aux réfugiés. Il tente de persuader Leila qui hésite. Leila, la Beyrouthine, n'a plus vu le Liban depuis bien longtemps.  En septembre 1982, elle se décide enfin. Ils partent pour Beyrouth. Leur avion se pose au moment où, au sud de la ville, commence les massacres de Sabra et Chatila. Crépuscule.

La vision d'horreur de ces massacres ne quittera plus Genet jusqu'à sa mort, quatre ans plus tard. Il écrira deux livres sur le sujet : Quatre heures à Chatila et Le captif amoureux, dédié au peuple palestinien.


Depuis 2005, Leila vit à Bruxelles, avec Mohamed Berrada. Depuis peu, elle est ambassadrice de la Palestine auprès de l'Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg.