jeudi 22 août 2013

Eliane Dubois : une leçon de cinéma

J'apprends à l'instant le décès d'Eliane Dubois, fondatrice et directrice de Cinéart.
Immense tristesse et coup dur pour le cinéma d'auteur en Belgique. Mais certainement pas un coup d'arrêt.
Eliane Dubois a su donner au métier de la distribution ses lettres de noblesse et beaucoup de cinéastes européens, des frères Dardenne à Emir Kusturica, savent aujourd'hui ce qu'ils lui doivent.



Et pourtant, la partie était loin d'être gagnée d'avance. Parce que dans le 'monde du cinéma', le métier de distributeur de films est peut-être un des plus ingrats. Et certainement un des plus méconnus du grand public. Mais c'est une étape tellement vitale dans la vie d'un film, et qui comporte, en Belgique plus qu'ailleurs, d'énormes risques. Car il faut bien comprendre que distribuer un film chez nous coûte très cher : la concurrence fait rage, la production surchauffe et la durée d'expoitation en salles diminue à vue d'oeil. Sans compter qu'il faut boucler le tout dans un pays cinématographiquement coupé en deux.

Il y a deux ans, j'avais invité Eliane Dubois sur le plateau de l'émission 'Un soir à Bruxelles' pour qu'elle vienne nous parler de son métier. A l'époque, elle revenait du Festival de Cannes avec dans chaque main une récompense (l'une pour 'Le gamin au vélo' des frères Dardenne, l'autre pour 'Les géants' de Bouli Lanners), deux films auréolés qu'il allait maintenant falloir distribuer à un public pas forcément acquis et dans des salles pas forcément preneuses.
Un défi auquel elle s'est attelé avec talent, le même qui l'a animé pendant sa belle et trop courte carrière.

25/05/11 Festival de Cannes: des Palmes empoisonnées ?

lundi 12 août 2013

Surprise au MADre






A Naples, un heureux hasard me conduit loin des plages bruyantes à San Lorenzo, le quartier des musées. Et plus précisément au MADre, le musée d’art contemporain si bien nommé, les madones semblant occuper ici chaque coin de rue.


Quelques volées d’escaliers et je me retrouve face aux œuvres du Berlinois Thomas  Bayrle. L’exposition (ici, on dit la mostra) Tutto in uno co-produite avec les Bruxellois du Wiels qui l’ont présenté au printemps dernier est la plus grande rétrospective de l’artiste allemand jamais montée en Europe.
Le langage que Bayrle adopte dès les années 60 est fascinant et à la pointe de de l'avant-gardisme. 
Son principe est infiniment simple : le même motif est répété à l’envi.  Mais le résultat est bluffant et surtout, il dresse un regard critique et engagé sur les deux sociétés allemandes de l’époque, la capitaliste et la communiste. Tous les codes sont d'ailleurs là, bien présents et d’emblée reconnaissables. Entre art minimal et pop art,  les motifs utilisés par Thomas Bayrle évoquent à la fois la  consommation -déjà- effrénée, l'endoctrinement politique et ses icônes, l'urbanisme (avec un regard franchement ironique sur la 'folie' des autoroutes) et une sexualité débridée. 




On se perd aussi avec délice dans une sorte de grande chaine de montage, un labyrinthe de collages et de cartons qui semble repousser très loin les limites de l'art. 
Je confesse que cette visite a été pour moi un plaisir immense et aussi une surprise. Car (dois-je vraiment le dire..?),  j'avais loupé cette expo en février dernier au Wiels  et j'ai donc eu ici l'impression d'assister ici, comme un élève distrait, à une séance de rattrapage. 



Enfin, je précise aussi - au cas où le déplacement vous tenterait  -  que l'entrée au MADre est libre et gratuite (comme dans la plupart des musées publics),  contre 8 euro (ticket adulte) pour le Centre d'art contemporain de l'avenue Van Volxem. 

jeudi 8 août 2013

De Luca, De Brouckère







Un hôtel, une terrasse, et mon regard qui chaque jour se noie avec délectation dans la baie de Naples. En vacances depuis quelques jours au pied du Vésuve ou presque - voilà qui me change du Mont des arts - , je ne puis détacher mon attention des îles qui, au loin, semblent frémir et flotter sur la ligne d'horizon. Elles sont trois et toutes 'littéraires', à leur façon. Sur ma gauche, Capri, la plus célèbre, là où Malaparte, l'auteur de Kaputt s'est fait construire un villa à la fois superbe et démesurée que le cinéma a par la suite rendu célèbre. A droite, Procida, la plus plus petite, mais qui est aussi l'île d'Arturo, grand roman d'initiation de la romaine d'Elsa Morante. Et entre les deux, Ischia, à la fois la plus grande et la plus verte, île chérie entre toutes par l'écrivain napolitain Erri De Luca.



         Je l'avais rencontré il y a trois ans pour Télé Bruxelles, dans un petit salon de l'hôtel Métropole, place De Brouckère. C'était l'hiver. L'auteur de Montedidio était arrivé très en retard et s'en était excusé longuement. Cela m'avait touché. Nous devions parler de la parution de son dernier livre Sur les traces de Nives, qui a trait à la montagne et à l'alpinisme. Et j'ignore encore aujourd'hui pourquoi mais le sujet fut évacué en un coup de vent. Pendant une heure d'entretien, Erri De Luca s'est alors mis à me parler de l'île d'Ischia, de la mer et des pêcheurs qu'il a longuement côtoyés. Et l'écrivain italien m'en a parlé avec tant de détails, de verve et de passion qu'une fois notre entrevue terminée,  je me suis encouru  acheter Tu, mio  pour ensuite le dévorer d'une traite en un soir, et le rêver souvent jusqu'à ce jour où j'écris ces mots, me trouvant enfin à portée de regard de l'île d'un de mes auteurs préférés.
(dernier livre paru :  Les poissons ne ferment pas les yeux. Collection Du monde entier. Gallimard)
PS : l'intrigue se déroule sur l'île d'Ischia.

dimanche 4 août 2013

Le mystère Morandi




Quel secret renferme ce peintre... Cet auto-portrait (le seul qu'il ait jamais peint), à peine saisi dès l'entrée de l'expo que le Palais de Beaux-Arts lui consacre en ce moment, vous échappe  aussitôt. Tant sa profondeur vous parait inaccessible, impénétrable. L'artiste de Bologne est là, c'est vrai, mais sans l'être tout à fait. A peine un rai de lumière vient-il réchauffer ses traits, mais sans pour autant les rendre plus nets.  Giorgio Morandi s'est peint comme il peint ses natures mortes, nombreuses - on en compte presqu'une centaine -  et qui l'ont rendu à la fois célèbre et unique. On se trouve devant une présence silencieuse, dépouillée, austère. Rien de superficiel, pas d'effet pictural, de distraction, aucune couleur insolente. 
La rétrospective Morandi (Bozar, jusqu'au 22 septembre),  complète et bien agencée,  vous fascinera. Elle ne vous aidera néanmoins pas à percer le mystère de cet artiste inclassable et hors du temps.  Mais avec un peu de chance, vous resterez peut-être suspendu un long moment, au bord d'un gouffre infini, celui de la profondeur humaine.  

       

samedi 3 août 2013

Lignes brisées








Cet été, Bozar casse les murs, brise les lignes. La 'Young Belgian Art Prize' se permet toutes les extravagances artistiques. La peinture est rare. Certains diront 'trop' rare. Mais ce qu'il en reste est explosif, parfois arrogant, toujours interpellant. En fin de compte, l'art joue son rôle











































Dix ans






A peu près l'âge de Marie Trintignant sur cette photo, prise avec son père. 10 ans, l'âge de l'insouciance, de l'amour confiant. Le regard est doux, le visage est détendu, posé sur un tissu. Le corps semble prendre appui, mais pas trop, sur le torse de son père. Un père célèbre qui pose ici avec sa fille pour un magazine 'people' de l'époque. Jean-Louis Trintignant fixe l'objectif, comme lui a sans doute suggéré le photographe. Son regard est doux lui aussi, bien qu'on y ressente une certaine lassitude, un début de tristesse, une tristesse à peine perceptible, mais qui affleure ses traits. Son bras gauche tient fermement sa fille, comme s'il ne voulait pas qu'elle lui échappe, ou qu'on la lui ravisse.  Et maintenant quand on regarde à nouveau sur cette photo le regard de Marie, il semble ailleurs, perdu peut-être, déjà.