dimanche 27 octobre 2013

La culture, quel ennui !



      Avec l’annonce récente et brutale du décès de Patrice Chéreau qui, avec Roger Planchon, avait partagé la direction du TNP , me revient en tête la formule d’Antoine Vitez pour qui ce théâtre faisait de ‘l’élitaire pour tous’.
Aujourd’hui,  cette courageuse posture  a du plomb dans l'aile.



    Certes, la culture est présente. Et partout. Elle s’offre et s’étale jusqu’à plus soif dans les rayons épuisés (épuisants ?) des nos supermarchés médiatiques. Mais à la manière des produits laitiers, on ne la trouve plus guère que sous une forme allégée. Et surtout soumise à la loi du moindre effort. Empaquetée, prémâchée, prédigérée par des médias tellement bienveillants et soucieux de ne pas déplaire - ni trop déranger -  à un auditoire précieux (au sens vénal du terme) et délicat. Tout doit donc passer par la moulinette de  ‘l’entertainment’, du divertissement et du saupoudrage. Inviter en télé un écrivain, un artiste,  oui, mais à la condition qu’il ‘passe bien’.  On ne se demande plus si le dernier E.E Schmidt est un bon livre, on l’invite, un point c’est tout : c’est un bon ‘client’. Au bougon et pourtant génial Jean-Claude Pirotte, on préfèrera toujours  les chapeaux d’ Amélie Nothomb, autre bonne 'cliente'.    Stromae, quel talent ! Chantal Akerman, quel ennui ! ...
Les exemples sont légion et leur énumération s’apparenterait vite ici à une litanie.



D’autant plus que le courant de la médiocrité ne s'arrête pas à la porte des médias. Ce serait trop simple. Ainsi,  pour vendre des livres aujourd'hui, les libraires se déguisent-ils en gérants de snacks. ‘Cook and Book’ (que l’on ne prend même plus la peine de traduire) apparaît maintenant comme un slogan salvateur, le passage obligé pour accéder à la culture, et bien sûr pour la vendre.  



Un peu partout, les cases s'amenuisent et les lucarnes d'où, il n'y a pas si longtemps encore, on pouvait  apercevoir des sujets traitant intelligemment d'opéra, de peinture, de danse contemporaine et j'en passe, rapetissent à vue d'oeil. Et finiront, si ça continue, par disparaître dans l'indifférence générale.
Ou presque.
Car si l'élitisme culturel est un mot qui fait fuir - ou peur, c'est selon -, je le revendique haut et fort, quitte à me faire ici traiter de 'cultureux'.  Ce ne sera pas la première ni la dernière fois...
L'enjeu consiste à montrer avec intelligence et indépendance ce que l'on pense être le meilleur en considérant que ce qui est meilleur est à partager. En gardant toujours un esprit d'ouverture, de débat et de modestie.  C'est aussi, disons-le, une façon de donner des outils au plus grand nombre et de participer à son émancipation. 
Car cet élitisme tant décrié aujourd'hui est la condition de toute vraie culture. Et le meilleur moyen que l'on ait trouvé jusqu'ici pour combattre et freiner sa massification. 










dimanche 20 octobre 2013

Le semeur de troubles






En voyant fleurir un peu partout dans Bruxelles les affiches plutôt sages du dernier film de la cinéaste Marion Hänsel, pudiquement titré La tendresse, je ne peux m’empêcher de songer à une autre campagne d’affichage, celle nettement plus décapante du dernier film Lars Von Trier, Nymphomaniac, et à son chapelet de photos orgasmiques de Charlotte et de ses camarades de jeu.








Et ce champion toute catégorie du 'teasing' au cinéma s'y est pris très tôt. Depuis début juillet, il souffle méthodiquement sur les braises comme  s'il craignait que l'été n'engourdisse notre intérêt pour un film lancé fin juin sur les rails de la promo avec une étiquette 'hautement sulfureuse'. La tactique du cinéaste danois qui aime la provoc  - souvenons nous de son  "Je comprends Hitler..." , laché en 2011 à Cannes en pleine conférence de presse et jetant un froid sur la Croisette - consiste à jouer avec nos nerfs et nos instincts. 


Semaine après semaine, Lars Von Trier  a creusé son sillon,  tel un semeur de troubles, nous distillant au début de l'été quelques photos savamment mis en scène et triées.  A commencer par celle de la comédienne Charlotte Gainsbourg 'prise' dans une situation équivoque. Première étape. 






 Quelques semaines plus tard, la production de 'Nymhomaniac nous balance une photo de groupe plutôt belle, et où le réalisateur se met lui même en scène au milieu de toute son équipe. Tout est à nouveau suggéré, rien n'est montré. Ou presque, deuxième étape. 





Mais ce n'est pas tout. Dès la rentrée, ce fou de Lars Von Trier franchit une nouvelle étape, encore bien plus cruelle, avec cette fois de courts extraits  qui donnaient juste envie de jeter son ordinateur par la fenêtre et dont je vous livre ci-dessous, sadique à mon tour, deux exemples éloquents : 






















Difficile de faire plus frustrant. Mais Lars Von Trier n'est ni le premier ni le seul à avoir tirer sur cette corde. Je me souviens d'une bande-annonce qui m'avait fortement impressionné (pour ne pas dire plus) il y a quelques décennies. Elle évoquait en vrac, et sous les nappes de Georges Delerue, une chambre à coucher, un baiser, une starlette, un révolver,  une statue, bref une bande-annonce où tout semblait être dit mais où tout restait à voir.  

Gageons aujourd'hui que Lars Von Trier, à travers l'effeuillage de son Nymphomaniac dont la sortie n'est prévue qu'en 2014, n'ait finalement pas tout dit. La provocation du cinéaste danois atteindrait alors son comble...



lundi 14 octobre 2013

Diable rouge : fiction ou réalité



 Si la victoire de nos Diables rouges et leur ticket pour le Brésil semblent incontestables, ils font écho dans mon esprit torturé à la destinée d’un autre Diable rouge, sorti tout droit de l’imagination (trop ?) fertile du dramaturge français et contemporain Antoine Rault.
Son ‘Diable rouge’, se présente  comme un drame historique. Le pitch, comme disent les journalistes pressés, est le suivant : nous sommes en  1656, le Cardinal Mazarin est au sommet de son pouvoir mais il est vieux et se sait condamné.  Il achève l'éducation de son filleul le jeune roi Louis XIV, sous le regard de la reine-mère Anne d'Autriche et d'un Colbert qui attend son heure.
Dès la création de cette pièce en 2008 au théâtre Montparnasse avec entre autres l’excellent Claude Rich,  un extrait du texte  – un dialogue entre Colbert et Mazarin - va éveiller quelques soupçons :

Colbert : Pour trouver de l’argent, il arrive un moment où tripoter ne suffit plus.
J’aimerais que Monsieur le Surintendant m’explique comment on s’y prend pour dépenser encore quand on est déjà endetté jusqu’au cou… 
Mazarin : Quand on est un simple mortel, bien sûr, et qu’on est couvert de dettes, on va en prison. Mais l’Etat… L’Etat, lui, c’est différent. On ne peut pas jeter l’Etat en prison. Alors, il continue, il creuse la dette ! Tous les Etats font ça.
Colbert : Ah oui ? Vous croyez ? Cependant, il nous faut de l’argent. Et comment en trouver quand on a déjà créé tous les impôts imaginables ?
Mazarin : On en crée d’autres.
Colbert : Nous ne pouvons pas taxer les pauvres plus qu’ils ne le sont déjà.
Mazarin : Oui, c’est impossible.
Colbert : Alors, les riches ? 
Mazarin : Les riches, non plus. Ils ne dépenseraient plus. Un riche qui dépense fait vivre des centaines de pauvres. 
Colbert : Alors, comment fait-on ?
Mazarin : Colbert, tu raisonnes comme un fromage (comme un pot de chambre sous le derrière d'un malade) ! Il y a quantité de gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour compenser…C’est un réservoir inépuisable.


Incroyable, n’est-il pas !?… Quel visionnaire ce Mazarin ! Et dire que cet échange d’une surprenante actualité a eu lieu il y a 4 siècles… Oui. Sauf qu’en regardant de plus près cette conversation prétendue ‘historique’, un doute s’installe. Très vite, ce dialogue va faire le tour du web et devenir l’objet de discussions infinies, jusque sur le forum du célèbre site HoaxBuster (dénicheur informatique de canulars et rumeurs de tout poil).  Historiens, linguistes, journalistes, blogueurs, tout le monde va s’en mêler. Le département ‘Civilisation’ de la bibliothèque de Lyon  relève par exemple une série d’éléments stylistiques propres à notre époque (l’expression ‘comme un fromage’ n’appartient pas au vocabulaire actif des Français du 17ème siècle). Des historiens indiquent que la classe moyenne n’étaient pas aussi importante à l’époque de ce cher  Mazarin qu’aujourd'hui. D’autres, par contre,  soutiennent que ce dialogue inspirera  300 ans plus tard à un certain Karl Marx cette maxime : « La politique des riches consiste à se servir des pauvres pour appauvrir ceux qui le sont moins ».  
Enfin, dans la presse, on se range volontiers derrière  Philippe Tesson, journaliste du Figaro  qui viendra conclure, de façon cinglante, ce débat :
« Peu importent les libertés que prend Antoine Rault avec l'Histoire. On n'est pas ici à la Sorbonne, on est au théâtre, dans le registre et la tradition du théâtre dit historique. Il s'agit de séduire... ».

La vérité finira par tomber, quelques mois plus tard, de la bouche même de l’auteur Antoine Rault.  A la question  posée par un journaliste : -  Quelle liberté avez-vous prise par rapport aux faits historiques,  l’auteur du 'Diable rouge' répondra (enfin)  :  - La pièce respecte l’histoire , mais c’est une fiction qui me permet d’aborder un sujet qui nous passionne depuis toujours : qu’est-ce que nous cachent les hommes qui nous gouvernent ? 

Pour conclure avec un sourire, voici l'explication de l'emprunt d'Etat fournie par Fernandel himself dans le film 'François 1er' réalisé en 1937 par Christian-Jacque. Fiction ou réalité ? 


samedi 5 octobre 2013

La jambe détournée



L’histoire commence de l’autre coté de l’Atlantique, au Canada.  Rosea Lake, 18 ans, étudiante en design à l’Université de Capilano,  poste une photo sur son 'tumblr',  prise un an plus tôt, alors qu’elle était encore au lycée. Le travail demandé devait dénoncer le sexisme ambiant. Rosea a alors imaginé une jambe nue sur laquelle est dessinée une échelle reprenant graduellement une série de préjugés machistes liés à la longueur de la jupe. Allant de très court : 'prostituée', à très long : 'matrone'

A peine postée sur la toile en janvier dernier, cette photo a fait le buzz. Le post a reçu pas moins de 286.878 notes.  Interviewée dans le  journal local ‘The Province’ ,  Rosea explique sa démarche :  J’ai un jour réalisé que je regardais  une femme en short et je me disais : C’est un trainée’... Je pensais aussi que toutes les femmes qui portaient le  ijab (voile) étaient oppressées. J’ai réfléchi à cette tendance de slut-shaming - attitude qui consiste à relier un viol ou sa potentialité à la tenue vestimentaire -  et j’ai pensé qu’il était temps de créer un monde sans jugement.’




La photo appelée  ‘Judgment’  a ensuite été relayée sur Facebook par UniteWomen, une association féministe, et a fait le tour de plusieurs magazines féminins. 







Quelques mois plus tard, elle a fini par arriver en Belgique, dans d’autres mains, aux intentions bien différentes, celles du Vlaams Belang. Cette photo va alors se retrouver plagiée et associée à une campagne anti-islam, particulièrement ignoble.
‘Vrouwen tegen Islamidering’ met en scène  la sénatrice Vlaams Belang Anke Van dermeerch, ancienne  miss Belgique. La photo reprend l’idée de l’échelle sur une jambe, mais y associe cette fois d’autres grades, censés démontrer la façon dont les musulmans considèrent les vêtements des femmes, allant de très court 'bonne à être lapidée' à très long 'conforme à la charia' . Le tout assorti du sympathique slogan  ‘La liberté ou l’islam’. 
Un véritable plagiat assorti d'un détournement de sens, alors que la photo originale était avant tout un appel à plus de tolérance.
L’affaire est maintenant portée devant les tribunaux belges. L’avocat qui défend les intérêts de Rosea Lake, maître Abderrahim Lahlali, a assigné hier la sénatrice belge. D'ici quelques jours elle devra répondre  devant le président du tribunal d’Anvers pour atteinte aux droits d’auteur et usage abusif  de l’oeuvre d’art ‘Judgments’. Rosea Lake peut également compter sur le soutien de la styliste bruxelloise Rachida Aziz (Azira) qui a aidé l'artiste canadienne a venir se défendre en Belgique.  

mardi 1 octobre 2013

Cantat : retour sous surveillance





Soleil. Un jardin. Deux musiciens (on dirait qu’ils improvisent un morceau). Et soudain une voix, reconnaissable  entre toutes, celle de Bertrand Cantat. Elle s’avance entre les herbes comme une bête blessée (traquée ?) et dévoile peu à peu des mots justes, sombres et, au final, bouleversants. "A la croisée des âmes sans sommeil/L’enfer est myope autant que le ciel/On t’avait dit que tout se paye/Regarde bien droit dans le soleil..."

Le contrebassiste dans le jardin, c’est  Pascal Humbert (ancien membre d’16 Horsepower et Wovenhand), un  vieux pote qui  en 1987 avait produit  Où veux-tu que je regarde, le premier mini-album de Noir Désir. Ensemble, ils ont conçu ce projet musical appelé mystérieusement ‘Detroit’ et dont Droit dans le soleil semble être le prélude.

Mais il y a un autre ami qu’on n’aperçoit pas dans le clip, c’est le metteur en scène Wajdi Mouawad, avec qui Cantat a écrit cette chanson au Liban.

En réalité, les deux hommes se connaissent bien. Wadji Mouawad, qui depuis longtemps utilise des chansons de Noir Désir dans ses spectacles, avait contacté en 2009 le chanteur français qui était encore en prison.  Mouawad rêvait de lui donner le rôle du choeur dans ‘Des femmes’, une trilogie de sept heures inspirée de trois  tragédies de Sophocle : Antigone, Electre et les Trachiniennes.  Contre toute attente, Cantat accepta. Programmée au festival d’Avignon de 2011,  la pièce a finalement dû être jouée sans lui. Jean louis Trintignant, présent lui aussi dans ce festival avait refusé de jouer là où apparaîtrait Bertrand Cantat, responsable de la mort de sa fille Marie.  La production a alors préféré éviter d’alimenter inutilement les polémiques.

 Mais vers la fin de l’année, à l’issue de ce spectacle, Chœur,   un album musical a été publié sur des plates-formes de téléchargement et sur support physique aux éditions Acte Sud. Il s’agissait là en fait du premier album de Bertrand Cantat depuis la fin de Noir Désir. C’était aussi son premier album publié en son nom propre. Mais, étonnamment, la presse belge et française n’en ont fait quasi aucun écho.






Aujourd'hui, les médias semblent être davantage sur la balle. Et Droit dans le soleil devrait faire du bruit dans Landerneau. La chanson est à peine sortie sur YouTube qu’elle réveille d’un coup  la meute de ceux qui aboient en groupe. Des sondages, rapidement ficelés et repris par une certaine presse, semblent venir gonfler avec cynisme une polémique latente. Quant aux radios, elles s’interrogent sur l’opportunité ou non de la diffuser sur leurs ondes,  allant même jusqu’à organiser des 'comités d’antenne' sur le sujet. Interrogé par un collègue du Soir, le programmateur musical de Bel RTL avance prudemment : ‘Nous allons voir si la chanson rentre dans la couleur artistique de Bel RTL’. Plus direct,  son collègue de Nostalgie déclare : ‘Ca m’étonnerait qu’elle soit diffusée, car elle ne correspond pas à la sonorité de Nostalgie’, une déclaration qui surprendra les auditeurs de cette radio habitués à entendre Le vent nous portera, chanson de Noir Désir aux sonorités proches de Droit dans le soleil, mais écrite avant le drame de Vilnius.
Cette chanson annonce un nouvel album, baptisé Horizons, qui devrait sortir, en principe, le 18 novembre prochain.

 "Tous les jours on retourne la scène/Juste fauve au milieu de l’arène/On ne renonce pas on essaie/De regarder droit dans le soleil..."