dimanche 1 décembre 2013

Les larmes de Rogier van der Weyden





L’exposition Rogier van der Weyden est fermée. Définitivement. Quelque peu dépité, je m’assieds sur les marches du musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Les yeux perdus dans le va-et-vient des trams, je reste là un long moment quand soudain mon esprit perçoit l’écho d’une rumeur lointaine.



Madrid. 1565. Depuis quelques jours un bruit court dans toute la ville : le roi Philippe II, de retour des Flandres, aurait ramené avec lui le plus beau tableau du monde.  Rien de moins. Alors ce matin, les gentilhommes  se bousculent dans les froids couloirs du monastère de l’Escurial.  Chacun voulant être le premier à contempler le chef d'oeuvre.  La Descente de croix de Rogier van der Weyden, est là, accrochée à un mur nu, au fond d’une pièce isolée. 
Et elle est bouleversante.





Louvain, un  siècle plus tôt. Une corporation d’arbalétriers passe commande au maître bruxellois Van der Weyden. On dit de lui qu’il n’y a pas meilleur peintre dans les toutes provinces réunies. Dès lors, les Louvanistes veulent leur ‘descente de croix’. Elle devra servir de retable à la chapelle Notre Dame Hors-les-murs de Louvain.  

Pour la première fois dans l'histoire de l'art, un peintre porte un regard libre sur les émotions humaines. Le sentiment est intense, la douleur est représentée, mais dans la dignité. Des larmes transparentes coulent encore sur la joue de la vierge. Et à les voir, on ressent la douleur qui les a provoquées.






Ce tableau, une fois terminé,  va enchanter plusieurs générations de visiteurs. Quant aux commanditaires, ils ont été comblés, le peintre ayant pris soin de leur rendre subtilement hommage : la posture du corps du Christ rappelle la forme d'une arbalète.


Mais le destin de cette oeuvre est ailleurs. Et un long et fascinant périple l'attend. En 1548, le tableau est échangé contre une copie et un orgue pour Marie De Hongrie, qui n’est autre que la sœur de Charles Quint. Elle l'installe dans son château de Binche,  où les courtisans se précipitent. Parmi eux , un certain Vicente Alvarez, qui écrira, des années plus tard : - C'était le plus beau tableau de tout le château, et je crois même du monde entier, car j'ai vu dans ces régions de nombreux bons tableaux, mais aucun qui a égalé cette vérité dans la nature et cette dévotion. Tous ceux qui l'ont vu étaient du même avis.
Marie de Hongrie est la tante de Philippe II. A sa mort, son neveu reçoit l'oeuvre du bruxellois en héritage et l'installe dans son pavillon de chasse du Prado. 

L'histoire n'en a pas fini avec cette oeuvre. En 1936, la guerre civile éclate en Espagne. Avec au programme violence et pillage. Le tableau est alors évacué en urgence vers Valence pour le protéger. Il y restera jusqu'en 1939, avant d'être transporté en train en Suisse, pour y être exposé au Muse d'Art et d'histoire de Genève. Quelques mois après la fin de la guerre civile, il rejoint le Prado. Pour y rester jusqu'à aujourd'hui. A part de très rares sorties pour des expositions. 


La Descente de croix n'était pas destinée à venir à Bruxelles pour l'exposition consacrée à Van der Weyden. Car elle a été peinte entre 1435 et 1438. C'est à dire plus de dix ans avant les tableaux du maître et de ses héritiers bruxellois que le commissaire  a voulu présenter au public. Il y a quelques jours cette expo a été fermée dans la précipitation, suite à des risques d'humidité dus à des infiltrations d'eau. Une quarantaine d'oeuvres peintes sur bois et prêtées par des musées du monde entier ont ainsi frôlé la catastrophe. Au Prado, où assurément on a eu vent de cette regrettable affaire, un responsable du musée a du s'approcher de La Descente de croix, et esquisser un sourire.  


Je songe à tout cela, assis sur les marches du musée des Beaux-Arts de Bruxelles, tandis que glisse sur ma joue une larme transparente. L'émotion, sans doute. 





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