samedi 28 décembre 2013

Mont des Arts : préférences 2013



Roman : 



Sublime roman d'un écrivain en sursis et qui reste debout, malgré tout.


Expo :


Une rétrospective complète, audacieuse et intelligente d'un artiste qui a considérablement modifié notre regard. 



Cinéma :



Autopsie d'un couple signée Felix Van Groeningen. Bouleversant et sans concession. 



Théâtre :



Le discours à la nation de Celestini merveilleusement mis en scène et en bouche par David Murgia, jeune prodige de la scène belge francophone.



Musique : 



Retour réussi pour Girls in Hawaai avec cet album envoûtant et aux profondeurs inattendues.



Bande dessinée :



Le handicap, sujet délicat et rarement traité en bd, abordé ici avec tendresse et sincérité par Zidrou, créateur entre autres de l'élève Ducobu.

jeudi 19 décembre 2013

Le livre adossé à l'armoire



Il en rit encore, le géant suédois vert et jaune. Et, au passage, vous remercie. Du fond du coeur. Car il vous a bien enroulé, vous les offusqués de la culture, les chevaliers blancs du livre sacré.  Sa campagne de pub soit disant anti-livre et savamment distillée dans les rues de Bruxelles (merci JC Decaux ) vous a choqué, pour ne pas dire davantage.  Alors , sans qu'on vous le demande, vous êtes tombé dans le panneau ... publicitaire.  Mais comment osent-t-ils donc, ces vendeurs de meubles, piétiner la culture avec autant d'arrogance !



Pour trouver les premières traces de cette révolte, il faut regarder tout en bas de la carte, dans le sud de la Belgique. Un matin de décembre,  Géraldine Frogniez,  libraire à Arlon tombe nez-à-nez sur le tueur de livres... Malgré le froid ambiant, son sang ne fait qu'un tour. Elle répond aussitôt à la question de l'isolent par cette phrase pour le moins sibylline : -'pour être autre chose qu'une chose.' Mais notre libraire ne s'arrête pas en si bon chemin. Le lendemain, Géraldine propulse la photo de son acte de bravoure sur les réseaux sociaux, créant ainsi un mini buzz qui se répercutera bien au delà des frontières de notre royaume.






Deux jours plus tard, ne craignant pas le ridicule, l'éditeur de bandes dessinées Sandawé s'empare à son tour de cette affaire. Et propose aux visiteurs de son site de télécharger la photo originelle de la publicité en question, de la détourner pour y ajouter ensuite son propre message. Plusieurs photos  ont ainsi été postés, hilarantes à tel point que l'équipe de Sandawé les a répercutés sur sa page Facebook. Et toc, dans les gencives d'Ikea !






Silence radio, on s'en doute, du côté du fabricant de meubles. La firme suédoise n'a déposé aucune plainte, bien trop heureuse de cette vitrine offerte sur un plateau d'argent. Les défenseurs du livre viennent en effet de lui faire un cadeau de Noël sympathique. Et ce n'est pas la première fois. En 2011, Ikea avait déjà été voué aux gémonies. A l'époque, la pointe de discorde était la bibliothèque Billy. Une étude de marché auprès de la clientèle avait révélé que ce meuble ne servait plus uniquement à ranger des livres. Ikea la scandaleuse,  avait donc décidé de transformer sa Billy en la rendant plus profonde avec la possibilité d'y ajouter des portes en verre.  Nos amis du livre ont failli s'étouffer, accusant Ikea de vouloir tuer la littérature, rien de moins. Le ridicule, heureusement, ne tue pas.

Pendant ce temps, et depuis 30 ans, Ikea écoule tranquillement ses bibliothèques Billy dans le monde entier, 28 millions d'exemplaires ont été vendus à ce jour.

  









dimanche 15 décembre 2013

Certains y dorment






1250, des béguines vivent de manière éparse dans le nord de Bruxelles, juste en dehors de la première enceinte de la ville. Elle se réunissent pour prier dans la chapelle Notre-Dame de la Vigne. Le prêtre qui officie se nomme René Breeteyck. 


1252, le grand béguinage est fondé autour de cette chapelle. L’évêque de Cambrai, dont dépend le doyenné de Bruxelles leur donne l’autorisation de construire un enclos avec des maisons d’habitations individuelles leur permettant de vivre en communauté. On dénombre 1084 maisons sur une superficie de 7 ha. 

1579, des troubles religieux secouent Bruxelles, le culte catholique est interdit. Les calvinistes pillent la chapelle.

1584, elle est complètement démolie et vendue pièce par pièce à des particuliers.

1657, la domination protestante s'achève. Début de la reconstruction de l’église des béguines,  nommée Saint Jean-Baptiste. Inspirée de l'église des Jésuites toute proche. L’architecte brabançon Lucas Fayderbe élève un édifice  de style baroque italo-flamand. Sa décoration dérive de l’église de Gesù à Rome, avec comme intermédiaire l’église st Michel de Louvain. La façade est une des plus belles d'Europe.

1660, les premiers visiteurs sont éblouis. La nef a des proportions amples. Les arcades sont hautes. Le transept bien dégagé.
 
1675, reliefs, corniches en ressaut et bas-côtés sont achevés.

1676, l’église est consacrée.

1801, l’église devient une église paroissiale.

De 1866 à 1904, elle subit une série de restaurations.

1869, on y installe des autels, des confessionnaux, la chaire de vérité  et l’orgue Van Hool-Vermeersch.

1936, le bâtiment est classé par arrêté le 5 mars.

de 1962 à 1980, le parement est partiellement renouvelé.

2000, un incendie ravage sa toiture qui est  immédiatement restaurée. On utilise du chêne de la Loire.







2013, décembre. 150 personnes y dorment depuis 3 semaines.  Des Afghans, sans papiers. Dans l'indifférence générale.










dimanche 8 décembre 2013

Une actrice trop flamande ?



La comédienne belge Veerle Baetens vient de remporter à Berlin l’Award de la meilleure actrice européenne. Et si vous n'étiez pas au courant, rien de plus normal. Car à l'exception du journal Le Soir, la presse écrite belge francophone a grosso modo à peine effleuré l'événement, consacrant à cette victoire une dizaine de lignes tout au plus, et encore, la plupart des journaux se sont contentés de recopier le communiqué de presse. Incompréhensible.


The Broken circle breakdown est un film de Felix van Groeningen  (la Merditude des choses, c'était déjà lui). Dans ce film tiré d'une pièce de théâtre à succès de Mieke Dobbels, Veerle Baetens tient à bout de bras le rôle d'Elise, une femme qui va traverser une histoire d'amour bouleversante.  C'est aussi le premier long-métrage belge de toute l’histoire des Awards (26 éditions, tout de même) à décrocher autant de nominations : un record.  C’est d’ailleurs le film de tous les records avec plus de 40 distinctions empochées de New York à Montréal depuis sa sortie en salle. Et ce n'est pas tout, The Broken circle breakdown est en lice pour représenter la Belgique aux prochains  Oscars. 



Après des études suivies au Conservatoire Royal de Bruxelles, Veerle Baetens va très vite se retrouver sur les planches, principalement en Flandre. La télévision privée VTM a aussi accueilli à bras ouverts cette actrice talentueuse, où elle a partagé entre autres la distribution de séries très regardées comme Code 37 et Sara.  Mais la musique reste la  principale passion de cette femme de 38 ans. C’est d’ailleurs la comédie musicale  Fifi Brindacier qui va la faire connaître auprès du grand public en 2005, un rôle titre pour lequel elle obtiendra le prix musical John Kraiijkamp. L'an dernier , dans la foulée du film The broken circle breakdown, elle a donné avec Johan Heldenbergh, son partenaire à l'écran, une série de concerts dont les amateurs de bluegrass se souviendront longtemps. 





Et pourtant. Les Magritte du cinéma annoncés pour le 1er février prochain devraient en toute logique ignorer royalement cette merveilleuse comédienne. Et les tatouages de la bruxelloise Emy La perla, dont son corps se couvre au fur et à mesure que le film avance ne devraient pas changer la donne. 
Les Magritte du cinéma, c'est d'abord et avant tout la fête du cinéma francophone. Même si en 2012 et après un tollé médiatique, les organisateurs ont vite bricolé un prix supplémentaire et ouvert ainsi cette compétition aux films flamands. Rundskop de Mickaël P. Roskam a ainsi été le premier récompensé suivi en 2013 par A tout jamais de Nic Balthazar, co-produit par les francophones d'Entre chien et loup. Car petite subtilité,  pour être nominés et avoir une chance de récompense aux Magritte, les films flamands doivent être co-produits par des ... francophones. Autrement dit, on ouvre la porte, mais on laisse le crochet fermé.

Lors de le cérémonie  des European Film Awards, Veerle Baetens a glissé face au public berlinois à la fin de son speech cette petite phrase : "J'espère que la Belgique restera unie."
Si les organisateurs du concours européen n'ont sans doute pas capté complètement l'impact de ces mots, ceux des Magritte du cinéma seraient bien avisés d'en mesurer toute la portée.



dimanche 1 décembre 2013

Les larmes de Rogier van der Weyden





L’exposition Rogier van der Weyden est fermée. Définitivement. Quelque peu dépité, je m’assieds sur les marches du musée des Beaux-Arts de Bruxelles. Les yeux perdus dans le va-et-vient des trams, je reste là un long moment quand soudain mon esprit perçoit l’écho d’une rumeur lointaine.



Madrid. 1565. Depuis quelques jours un bruit court dans toute la ville : le roi Philippe II, de retour des Flandres, aurait ramené avec lui le plus beau tableau du monde.  Rien de moins. Alors ce matin, les gentilhommes  se bousculent dans les froids couloirs du monastère de l’Escurial.  Chacun voulant être le premier à contempler le chef d'oeuvre.  La Descente de croix de Rogier van der Weyden, est là, accrochée à un mur nu, au fond d’une pièce isolée. 
Et elle est bouleversante.





Louvain, un  siècle plus tôt. Une corporation d’arbalétriers passe commande au maître bruxellois Van der Weyden. On dit de lui qu’il n’y a pas meilleur peintre dans les toutes provinces réunies. Dès lors, les Louvanistes veulent leur ‘descente de croix’. Elle devra servir de retable à la chapelle Notre Dame Hors-les-murs de Louvain.  

Pour la première fois dans l'histoire de l'art, un peintre porte un regard libre sur les émotions humaines. Le sentiment est intense, la douleur est représentée, mais dans la dignité. Des larmes transparentes coulent encore sur la joue de la vierge. Et à les voir, on ressent la douleur qui les a provoquées.






Ce tableau, une fois terminé,  va enchanter plusieurs générations de visiteurs. Quant aux commanditaires, ils ont été comblés, le peintre ayant pris soin de leur rendre subtilement hommage : la posture du corps du Christ rappelle la forme d'une arbalète.


Mais le destin de cette oeuvre est ailleurs. Et un long et fascinant périple l'attend. En 1548, le tableau est échangé contre une copie et un orgue pour Marie De Hongrie, qui n’est autre que la sœur de Charles Quint. Elle l'installe dans son château de Binche,  où les courtisans se précipitent. Parmi eux , un certain Vicente Alvarez, qui écrira, des années plus tard : - C'était le plus beau tableau de tout le château, et je crois même du monde entier, car j'ai vu dans ces régions de nombreux bons tableaux, mais aucun qui a égalé cette vérité dans la nature et cette dévotion. Tous ceux qui l'ont vu étaient du même avis.
Marie de Hongrie est la tante de Philippe II. A sa mort, son neveu reçoit l'oeuvre du bruxellois en héritage et l'installe dans son pavillon de chasse du Prado. 

L'histoire n'en a pas fini avec cette oeuvre. En 1936, la guerre civile éclate en Espagne. Avec au programme violence et pillage. Le tableau est alors évacué en urgence vers Valence pour le protéger. Il y restera jusqu'en 1939, avant d'être transporté en train en Suisse, pour y être exposé au Muse d'Art et d'histoire de Genève. Quelques mois après la fin de la guerre civile, il rejoint le Prado. Pour y rester jusqu'à aujourd'hui. A part de très rares sorties pour des expositions. 


La Descente de croix n'était pas destinée à venir à Bruxelles pour l'exposition consacrée à Van der Weyden. Car elle a été peinte entre 1435 et 1438. C'est à dire plus de dix ans avant les tableaux du maître et de ses héritiers bruxellois que le commissaire  a voulu présenter au public. Il y a quelques jours cette expo a été fermée dans la précipitation, suite à des risques d'humidité dus à des infiltrations d'eau. Une quarantaine d'oeuvres peintes sur bois et prêtées par des musées du monde entier ont ainsi frôlé la catastrophe. Au Prado, où assurément on a eu vent de cette regrettable affaire, un responsable du musée a du s'approcher de La Descente de croix, et esquisser un sourire.  


Je songe à tout cela, assis sur les marches du musée des Beaux-Arts de Bruxelles, tandis que glisse sur ma joue une larme transparente. L'émotion, sans doute.