mercredi 18 septembre 2013

Cours Florent : le miroir aux alouettes



« Hélas mon pauvre argent, mon pauvre argent, cher ami ! On m’a privé de toi ; et puisque  tu m’es enlevé, j’ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire au monde ! Sans toi, il m’est impossible de vivre.»

Cette réplique fameuse d’un Harpagon désespéré m’est subitement revenue à l’esprit ce matin en apprenant la décision prise par le célèbre cours Florent parisien  d’ouvrir une antenne à Bruxelles et, avec elle, les portes monnaies des candidats comédiens. Et l’école privée de formation d’acteurs n'a pas perdu de temps.  D’ici quelques jours, les futurs élèves seront invités à suivre un stage d’accès au cours (sic), pour la modique somme de 390 euros. Ensuite, s’ils font partie des heureux ( ?) élus, ils devront débourser chaque mois 380 euros, ce qui nous amène, tout frais compris, aux alentours de 4000 euros pour l’année. Pour un rythme scolaire de 9 heures de cours par semaine, le tarif exigé est plutôt haut de gamme…
Mais  comment l’explique-t-on ?  


       Créé à Paris en 1967 par François Florent, le cours qui porte son nom vient d’être racheté par Studialis, un des plus grands réseaux français d’écoles privées, contrôlé depuis 2010 par Bregal Capital, une société familiale hollandaise basée à Londres.  Studialis possède 24 écoles, essentiellement de management comme ESG (parrainée par l’ancienne ministre de l’Ecologie Nathalie Kosciusko-Morizet) et des écoles d’art et création, parmi lesquelles on retrouve l’Iesa qui forme des marchands d’art ou encore le Strate Collège, une école de design industriel. Les actionnaires hollandais, qui par ailleurs ont plusieurs intérêts aux Etats-Unis dans l’éducation primaire et secondaire, ne cachent pas leur ambition : faire du chiffre. Pris dans la tourmente depuis cette prise de contrôle,  le cours Florent est donc depuis peu en plein déploiement. A commencer par la France où des succursales ont fleuri un peu partout, à Rennes, Montpellier et Bordeaux. Mais aussi en Chine et ces jours-ci chez nous, à Bruxelles. Le cours Florent se situe donc clairement sur une ligne de for profite School. On comprend dès lors beaucoup mieux pourquoi les responsables de cette école se laissent tenter par des factures élevées.


         Reste l’épineuse question des débouchés. En Belgique francophone, une fois son diplôme en poche, le jeune comédien se retrouve sur un marché de l’emploi étriqué, pour ne pas dire plus. On compte chez nous 5 écoles publiques qui forment des acteurs : l’Insas, l’IAD, et les conservatoires de Bruxelles, Liège et Mons. Le directeur du cours Florent ‘belge’ promet à ses futurs élèves des débouchés multiples en Belgique. Mais au regard de la crise sévère que traversent en ce moment les professionnels de la scène – en moyenne, un comédien sur 10 trouve un emploi dans sa profession -, cela équivaut ni plus ni moins à jeter de la poudre aux yeux.

       Pas sûr, au vu de ce contexte, que la famille hollandaise de Bregal Capital ait misé sur le bon cheval…



mercredi 11 septembre 2013

Narcisse au musée




Même si vous le vouliez très fort, il est impossible de les ignorer.  Désormais, quatre paires d’yeux accompagneront votre ascension de l’escalier royal du musée des Beaux-Arts. Ces œuvres - en réalité des photos passées et repassées plusieurs fois au bic -  ont été imaginées par le plasticien anversois Jan Fabre. Elles se déclinent en bleu et à travers les regards d’un hibou, d’un papillon, d’un scarabée et d’une femme (cherchez l’intrus). 
Mais ce n’est pas tout.  A peine la dernière marche franchie, on tombe sur une galerie d’autoportraits de l’artiste, ‘Les Chapitres I – XVIII, Waxes & Bronzes’ ,  en fait une série de masques représentant Jan Fabre sous divers attraits, et acquise au musée grâce à une donation secrète ( ?) . Il y a un an,  l'artiste me confiait sans rire les avoir modelés en songeant à son immortalité. Ni plus ni moins.  
Mais las, l’administration et ses méandres sont cruels et sans pitié. Et l’ascension du maître vers la gloire éternelle a bien failli être obstruée par la très vénérable Commission royale des Monuments et Sites… Verdomme, l’Anversois l’avait complètement oubliée, celle-là.  Du coup son projet a bien failli capoter. Car la cage d'escalier censée accueillir les fameuses photos est classée.  Le monumental escalier a en fait été construit  pour permettre au roi et à la reine d’accéder au musée en toute discrétion (sic).  Dès lors les membres de la Commission, qu'on sait peu ouverts  aux ‘fantasmes contemporains' , ont pris tout leur temps pour examiner les maquettes du projet, pas moins de quatre longues années  de tergiversations pour finalement donner (à contre cœur ? ) leur blanc-seing. Au bout du compte, Jan Fabre a donc pu enfin entrer dans la cour des éternels, de son vivant. Preuve, si l'on en doutait encore, que mégalomanie et patience peuvent faire bon ménage.



'Le regard en dedans' (l'Heure Bleue) de Jan Fabre. Installation permanente dans l'escalier royal du Musée des beaux-Arts de Belgique
www.fine-arts-museum.be/





lundi 9 septembre 2013

Les chiffres et la lettre



 Comme chaque année à pareille date, la rentrée littéraire s’accompagne d’une déferlante chiffrée et fastidieuse dont les médias sont friands.  Quant au public – et à fortiori les lecteurs -   l’intérêt réel qu’il pourrait porter à ce type d’informations reste encore à prouver.
555 nouveautés littéraires cette année,
150.000 exemplaires imprimés pour le dernier E.E Schmitt et ses perroquets,
22ème livre pour Amélie Nothomb,
2600 m2 en plus pour la librairie Filigranes…
Arrêtons ici le supplice.
Le livre, avant même d’être lu, est donc assommé par les chiffres, étouffé, sonné, au bord du K.O.  
Et au bord du doute, aussi. Je songeais à tout cela ces jours-ci, promenant ma mélancolie automnale Avenue des Arts, non loin de cette librairie Filigranes qui,  si on n’y prend garde, finira bien par joindre un jour la rue de la Loi à la rue Belliard.


 Ma mélancolie, donc,  conduisit naturellement mes pas au square Frère-Orban. Sous les arbres, je me mis alors à songer à cet hôtel de Trieste où je me trouvais avec S., il y a de ça à peine deux semaines. Trieste, ville grave et belle, encore et toujours hantée  par les ombres torturées d’Umberto Saba, James Joyce et  Italo Svevo. 
L’endroit où nous logions, au cœur de la ville, se nommait étrangement  'Résidence 6A'.   S. qui s’était renseignée auprès du propriétaire m’expliqua qu’il s’agissait là d’un hommage à Svevo. La 'Résidence 6A' comptait 6 chambres, chacune portant en effet  le nom d’un personnage féminin imaginé par l’écrivain triestin, et commençant par la lettre A.  Nous dormions dans la chambre d’Augusta, voisine de celle d’Alberta, et d’Ada. Un peu plus loin, sur l’autre palier, nos trouvions les portes d’Annetta, d’Amalia et d'Angiolina.  
Une idée à la fois simple et charmante qui me poussa à me replonger aussitôt dans la lecture de La Conscience de Zeno,  oeuvre immense et roman courageux sur la culpabilité publié par Italo Svevo en 1923.  
Je m’y plongeai avec tant de délectation que j’en vins à oublier les sirènes toutes proches de la rentrée, hurlant à la ronde leurs chiffres et leurs auteurs à la mode. 

Coupable moi ? Certainement. Et la faute que j’assume avec allégresse est celle d’avoir préféré la lettre aux chiffres.  

dimanche 1 septembre 2013

Le petit pavillon belge



Le petit pavillon belge de la Biennale de Venise ne paie pas de mine. Avec sa façade grisâtre (ou  verdâtre, selon l’humeur), coincé entre celui des Pays-Bas et  de  l’Espagne, il a presque l’air de s’excuser d’être là, proche de la sortie, en bout de course, quand on a les pieds en compote et qu’on n’aspire plus qu'à avaler d’une traite un Spritz même écoeurant à 8 euros place St Marc.
Et pourtant, si on fait l’effort d’en franchir le seuil on se retrouve face à une expérience inédite et saisissante.  



Car devant nous, l’installation de Berlinde De Bruykere remplit à la fois vos yeux et la salle toute entière.


Kreupelhout- Cripplewood, c’est le nom de l’œuvre, est là, devant nous, posée à même le sol, 
presqu' évidente. La sculpture se résume (si l’on peut dire)  à une souche d’arbre - un orme - façonnée avec de la cire et dont les formes et les couleurs (entre le rouge et le bleu) rappellent étrangement l’anatomie humaine. L'artiste gantoise Berlinde De Bruyckere explique qu'elle a voulu intégrer dans sa sculpture le corps martyrisé de Saint Sébastien, un des saints les plus vénérés et représentés à Venise. On disait qu'il était le saint de la peste. Dans la cité des Doges, si souvent frappée par la peste noire, les gens croyaient qu'il était celui qui n'est pas touché par les flèches divines, celles qui répandent la peste.
Et c'est vrai qu'on  perçoit ici à la fois du désir et de la souffrance -Eros et Thanatos - et aussi une beauté profonde. Car avec ces tissus rouge sang, on n'est pas loin des ombres et des teintes écarlates magnifiées par Le Titien et surtout Véronèse.  

C’est l’écrivain sud-africain J.M Coetzee, commissaire de l'expo et qui connait depuis longtemps le travail de Berlinde De Bruykere,  qui résume le mieux son oeuvre :
"Ses sculptures explorent d’une manière extrêmement intime et troublante la vie et la mort : la mort dans la vie, la vie avant la vie, la mort avant la mort. Elles apportent un éclairement , mais un éclairement aussi sombre que profond."

Ce petit pavillon belge, qui ne paie pas de mine, mérite donc amplement le détour.
A mes yeux, une des plus belles surprises de cette Biennale. 


Kreupelhout - Cripplewood de Berlinde De Bruyckere est visible au Pavillon de la Belgique jusqu'au 24 novembre dans le cadre de la 55e Biennale de Venise
www.labiennale.org
http://smak.be/