samedi 20 décembre 2014

Mont des Arts : préférences 2014




Cinéma :




Pari risqué mais réussi pour Stefan Liberski. L'adaptation du roman 'Ni d'Eve ni d'Adam' d'Amélie Nothomb fait mouche et révèle au grand public une Pauline Etienne lumineuse. 



Expo :

                        
   Le choc à Bozar : 'As sweet as it geets', rétrospective du gantois Michaël Borremans,  artiste surdoué et visionnaire.




                                                         Littérature :


                 Jean-Pierre Orban et sa 'Vera' (Mercure de France), premier roman ample et vertigineux sur les traces d'une jeune Italienne dans l'Angleterre des années 30. 






Evénement :

            Rencontre inoubliable à Bozar avec l'actrice italienne Claudia Cardinale.
            Un charme fou. Drôle, pétillante, unique.




Théâtre :

Avec Notre peur de n'être, Fabrice Murgia  affirme encore un peu plus une oeuvre à la fois singulière, profonde et bouleversante. 





Musique :

Daan, l'artiste flamand sort du lot et survole la production musicale belge avec désinvolture et un talent fou. Sa compil 'Total' est une véritable pépite !  




Photographie :


Anne-Sophie Costenoble poursuit un travail photographique sur l'intime et le récit par l'image. Une oeuvre maîtrisée et révélée cette année au travers la série 'Le silence et l'oiseau'.

lundi 17 novembre 2014

Et même crier au ciel, s'il le veut







La nuit est agitée. Impossible de dormir avec ces éclairs de chaleur.  Il est quatre heures du matin, Constantin est debout dans sa chambre. Debout, bien avant les moines. Et seul,  plus seul que jamais. Bruxelles est si loin.

Il y a dix jours, les trappistes ont enterré un des leurs. Il a peint la scène. D’une tristesse infinie,  mais son pinceau n’a pas tremblé. Est-ce la peinture qui le possède enfin ? Cette pensée le traverse tandis qu’il ferme la porte derrière lui, doucement,  pour ne réveiller personne.

Devant lui se tient l’aube. Frémissante, dans son dénuement. Le chevalet sur le dos, Constantin fait quelques pas. Il jette un dernier regard sur  l’abbaye où bientôt vont se réveiller ces hommes qu’il a appris à aimer. 

Et maintenant avancer, se dit-il, ne plus retourner. Plus jamais. Ora et labora, cette règle est bonne pour ces religieux cloîtrés, pas pour lui.
Constantin Meunier a 32 ans, il rentre à Bruxelles. Il va pouvoir parler à nouveau avec son maître et ami Charles De Groux. A nouveau rire, chanter et même crier au ciel, s'il le veut. Wetsmalle-la-rigide sera loin derrière lui.

"Il y a eu pour ainsi dire deux vies dans ma vie", écrira-t-il bien plus tard dans une lettre non datée  à Georg Treu, le directeur du Musée de Dresde.

Ce matin de 1860, l'artiste, dans sa fuite à travers la campagne, croise deux moines laboureurs. L'un est plié sur la charrue, l'autre, adossé aux bêtes, semble être apaisé et en parfaite harmonie avec la nature. L'image saisit profondément Constantin qui immortalisera la scène trois ans plus tard.  Celui que l'on va appeler le peintre des ouvriers et des mineurs est pour la première fois de sa vie confronté au travail. Aux mouvements à la fois simples et amples du travail. 

Constantin Meunier rejoindra définitivement Bruxelles en 1875, après le décès inopiné de son ami Charles De Groux. Il se jettera alors, tête baissée, dans le monde bruyant des aciéries, des charbonnages. Dans la grande roue du 19ème devenu industriel,  et dont il sera,  pour toujours,  le témoin le plus flamboyant.





'Rétrospective Constantin Meunier (1831-1905)
Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique jusqu'au 11-01-2015




lundi 15 septembre 2014

Libraire, dis-moi ton nom


La mort annoncée de la librairie 100 papiers à Schaerbeek est désolante. Tant pour les lecteurs que pour le quartier.  Trois ans à peine après son ouverture, la petite librairie de l’avenue Louis Bertrand sombre lentement mais sûrement, malgré  les efforts déployés pour résister à une concurrence implacable. Dont la principale porte le nom guerrier d’Amazon



Le nom, justement, on a beau vendre des livres, on ne s'en méfie jamais assez...

D’emblée, le choix du nom de cette libraire m’a paru maladroit. Une association de mots un peu facile, pour ne pas dire douteuse. Les sans-papiers se font pour la plupart expulser. Avec un nom si connoté, il ne faut dès lors pas s'étonner que la librairie schaerbeekoise se soit finalement retrouvée sur un siège éjectable. 


A l’autre bout de la ville, La licorne connait pour sa part un destin non moins reluisant. Si son nom ne la prédisposait pas à une disparition programmée, la licorne est, comme personne ne l’ignore,  une créature qui ne fait pas partie du règne animal, et, pour le dire franchement, qui n’a jamais existé. Par un cruel jeu de miroirs, la librairie du même nom n’existera elle-meêm bientôt plus,  en dehors de notre imagination. Tristesse. 


Au vu du destin balloté (c’est le moins que l’on puisse dire) de nos librairies bruxelloises, on se dit qu’il vaut encore mieux parfois miser sur un nom discret, un jeu de mots facile, qui ne trouble personne, du type ‘A livre ouvert’, ‘le rat conteur’ ou encore ‘Am stram gram’.  Pas de vagues, pas de bruit. pas de fureur.




D'autres se font plus remarquer en se la jouant  intello :  Candide. Très intello :  Ptyx.
Trop intello :  Tropismes.  Car ce premier roman de Nathalie Sarraute,  où cette librairie du centre-ville puise sa source, évoquait davantage des sentiments fugaces et volatiles, un état qui guette ce magnifique lieu de plus en plus à l'étroit dans les Galeries St-Hubert dévolues désormais aux nourritures essentiellement terrestres.

A ce propos, les références culinaires n'ont pas épargné certains commerces du livre, d'une façon élégante avec les yeux gourmands, ou alors prévoyante avec  Cook and book qui, mine de rien, assure ses arrières en plaçant dans son nom la cuisine devant le livre,  sait-on jamais...


Mais le plus fine d'entre toutes reste sans conteste la librairie Filigranes (et ses nombreuses déclinaisons 'outre-bruxelloises', de Knokke jusqu'aux confins de Megève). Une succes story dont le secret s'explique peut-être par son nom, et dans ses deux acceptations principales.  Un filigrane, c'est une marque, un dessin qui se niche au coeur même du papier (et que donc,  que on ne peut effacer. Bien vu.).
Mais c'est  aussi le nom donné au  fil de laiton qui,  au Moyen-Âge, entourait la poignée des sabres et des épées.
Et il faut bien ça pour combattre les amazones, guerrières de plus en plus assoiffées de culture bradée, prêtes à se couper un sein pour obtenir leur butin.





dimanche 24 août 2014

Un coup dans l'eau


Adam Ben Erza et sa contrebasse sont passés cet été par Rossignol en Belgique, invités par le ' Gaume Jazz festival'.  Le chien est resté à Tel Aviv.


Tel Aviv.  Un nom qui aujourd'hui sonne aux oreilles de certains comme une insulte. Adam Ben Erza est un jeune musicien israélien, tout comme le batteur Ofri Nehemya, 19 ans, recruté récemment par l'excellent Avishai Cohen. Une scène jazz dynamique, talentueuse et pleine de promesse, à l'image de la 'Thelma Yellin Hight School of the Arts'.   Et pourtant...



Quelques jours avant le début du festival, l'association Belgo-Palestinienne (ABP)  envoie aux organisateurs une lettre - ouverte -  clairement accusatrice : "Cette programmation nous interpelle, nous consterne, nous indigne. Pourquoi les Jeunesses Musicales ont-elles choisi de mettre Israël à l'honneur de ce trentième festival du jazz gaumais à travers ces musiciens, aussi talentueux soient-ils ? (...) Nous sommes indignés, certes, mais aussi consternés que les Jeunesses Musicales par leur choix puissent se mettre au service de la propagande du gouvernement israélien visant à redorer l'image d'Israël ". Propagande pro-israélienne ! Diable, l'ABP n'y va pas par quatre chemins. Dans le petit village gaumais, on se pince pour y croire. Déploiement de policiers en tenue et en civil, tracts sur les voitures... Mais quelle mouche a donc piqué cette association ?
  

En fait, le problème pour  l'ABP, c'est que l'ambassade d'Israël a soutenu 3 concerts et a participé aux frais des musiciens...  Il ne lui en fallait pas plus pour faire le rapprochement périlleux  entre soutien financier et ... propagande. Mais cette association omet (volontairement?) deux choses : l'organisation d'un  tel festival prend des mois et des mois de préparation, les invitations ont donc été lancées et bouclées bien avant le début de l'opération militaire à Gaza. Ensuite, la venue d'artistes étrangers dans un festival de cette taille (dont les moyens restent somme toute modestes) ne peut parfois se faire sans l'appui d'ambassades. Ca été le  cas précédemment pour des artistes danois, hollandais et suédois. 

Un coup dans l'eau donc pour l'ABP. Qui oublie aussi le principal. 
La musique - et le jazz peut-être plus que toute autre - jette des ponts entre les hommes.  Et pendant toute la durée du festival, le temps s'est arrêté (et avec lui le bruit des armes) au dessus des toits de Rossignol, village gaumais qui,  il y a tout juste 100 ans, a été le cadre d'intenses combats entre soldats français et allemands et où 130 villageois ont péri assassinés.


samedi 12 juillet 2014

Le temps qu'il faut


On se détache d'abord du ring, laissant derrière nous le canal et les dernières tours de Forest. La voiture semble alors peu à peu se libérer. Les essuie glaces vont bon train et l'on se dit que la pluie nous accompagnera jusqu'à Paris. S. soupire et son regard se perd au loin, au delà des gouttes d'eau, dans le paysage qui défile, vert et monotone. 
C'est dimanche, un dimanche perdu en juillet. Sur les panneaux indicateurs,  les lettres s'étirent et prennent des formes étranges. On a peine à lire Nivelles, et puis Mons. Et puis Bienvenue en France. La voiture ralentit, traverse des campagnes engourdies. Et finit pas trouver son rythme. Tout à leurs affaires, les camions nous dépassent, semblent glisser comme des péniches. Des voitures tractent des caravanes remplies d'espoir. S. s'est endormie, nuque flottante, comme en apesanteur. On approche de Paris. Il faudra que je la réveille. En douceur. Du vert, on passe au gris. Saint Denis, le périphérique, les tours de la Défense. Et soudain, une ouverture dans le ciel. La ville devant nous se déploie et prend forme, comme sortie des eaux. Les maisons s'ébrouent, les trottoirs s'égouttent. Partout l'on replie les parapluies. Un enfant saute dans une flaque. Et à côté de moi S. se réveille en souriant. Je me gare devant le Grand Palais. Qui accueille les vidéos de Bill Viola.

Je me dis que le temps n'a plus d'importance.     







jeudi 19 juin 2014

La maison de l'ambassadeur


'Cette maison exigeait un secret, ils furent tenus de l’inventer'.

Monsieur l'ambassadeur des Emirats arabes unis, cher ami,
avant d'acheter pour 4 à 5 millions d'euros (autant dire une bouchée de pain) la maison Delune, avez-vous lu cette phrase de Jacqueline Harpman, tirée du Bonheur dans le crime ?   Mesurez-vous  la gravité de votre geste ? Votre pétromonarchie stable, exemplaire - hormis quelques menus faits d’esclavagisme à l’encontre de travailleurs immigrés –,  sait-elle seulement où elle pose les pieds ?
Certes, vous me répliquerez qu'il s'agit là d'une fiction, d'un fantasme d'écrivain...Peut-être, mais comme dit le proverbe :  il n'y a pas de plume tombée sans oiseau plumé.




Un nommé Léon Delune construisit cette maison en 1904 sur le plateau du Solbosch, au beau milieu de cultures maraîchères et des prairies. Il faut vous préciser qu'à l'époque cet endroit se situe en pleine campagne, on pourrait dire le désert. Cette construction, d'ailleurs,  fleure bon la spéculation immobilière, une sorte d'Abou Dhabi d'avant l'heure, puisque 6 ans plus tard, l'exposition universelle de 1910 devait se tenir sur ce même plateau, au sud-est de la capitale belge. Figurez-vous qu'elle fut la première maison construite sur l'avenue des Nations (ancien nom de l'avenue Franklin Roosevelt). Une maison qui réservera à vos invités quelques surprises, avec une foule de détails amusants pour égayer vos réceptions. Parmi ses plus grandes bizarreries, vous aurez noté que votre demeure ne compte pas moins de cinq portes d'entrée et deux niveaux de caves.

Voilà pour l'amusement. Pour le reste, cher ami acquéreur,  si vous comptiez trouver ici un havre de paix pour couler des jours tranquilles loin de vos tempêtes de sable, vous allez être servis. Car l'histoire de cette maison nous suggère un destin autrement mouvementé. Et le mot est faible. A commencer par la propriétaire elle-même, Amélie de Grave, aristocrate de Furnes et qui s'est éteinte dans ses murs, peu avant le début de l'expo. D'elle, la pauvre, il ne restera  finalement que le A de son prénom immortalisé dans un sgraffite. 
Mais ce n'est là qu'un début. 
En 1910, pendant toute la durée de l'expo, cette maison va se retrouver au beau milieu du 'jardin des colonies' . On  l'appelle alors 'le château' et elle est occupée par des musiciens de jazz, les Negro Ministrel d'Alabama. A l'époque, ils font furie. Chaque soir, les Bruxellois affluent dans le bar américain aménagé au rez de chaussée pour écouter - pour la première fois en Europe - du ragtime.
Ce sont les années Folles. 
Au mois d'août de cette même année, un terrible incendie va ravager  sans pitié tous les pavillons de l'expo. Tous, sauf votre maison Delune, le seul bâtiment construit en pierre. 


Peu avant la guerre, le juge René Feys, propriétaire des lieux, s'enfuit à toutes jambes et rejoint les Etats-Unis. Pendant l'occupation allemande,  la maison accueille les charmants bureaux de la Kriegsmarine. Dieu sait ce qu'il s'y murmura alors...
Après, viennent les années de décrépitude. Petit à petit, et de pillage en pillage,  votre immeuble va se vider de tous ses éléments, du parquet jusqu'aux cheminées. On le squatte,  les étudiants de l'université voisine y organise des fêtes, certains parlent même de bacchanales. Des voisins vont jusqu'à évoquer  l'existence de messes noires, dans la cave la plus profonde. Des trafiquants d'armes y font aussi leurs petits commerces  (rien à voir, bien sûr, avec vos amis de la FN d'Herstal dont votre pays est un des principaux clients).
Votre nouvelle demeure va alors tomber dans les mains de plusieurs propriétaires dont celles, pas toujours nettes de Stephan Jourdain. Agence de pub, banque, bureau d'assurance, elle va connaître différents destins et des aménagements pas toujours heureux. Dernier rebondissement en date, l'aigle doré de 350 kg qui la surplombe réussit un soir de 1999 à s'envoler : on le retrouvera quelques mois plus tard, trônant au milieu des bibelots d'un brocanteur peu prudent.

Gageons cependant que l'histoire se calme enfin et que des jours paisibles vous accompagnent ici durant quelques années. L'endroit est calme, l'aigle a retrouvé sa place, les homosexuels et les drogués que vous pourchassez dans vos contrées se garderont bien de passer vos grilles. Pas plus d'ailleurs que celles de vos amis du Qatar qui construisent un palais à quelques pâtés de maisons.

Il ne me reste, monsieur l'ambassadeur, en guise de conclusion, qu'à vous suggérer la lecture complète du Bonheur est dans le crime, version Harpman, et dont ce dialogue  trouvera chez vous, j'en suis sûr, un écho favorable :


- Il me semble que cette maison vous fascine. Chaque fois que nous passons par ici, je vois que vous ne pouvez pas la quitter des yeux. Un jour, vous ferez un accident.
Il soupira, reporta le regard vers l'avenue encombrée.
- Ce n'est pas seulement la maison, encore qu'elle soit extraordinaire, dit-il à mi-voix. Ce sont les gens qui l'habitent.

  




mardi 10 juin 2014

Les brebis égarées


Monseigneur,

Que se passe-t-il ?
La messe serait-elle dite ?
Que fait donc l’église ?
Car permettez-moi de vous dire que son silence ces jours-ci est assourdissant. Elle qui, il n’y a pas si longtemps, était bien remontée – si je puis dire - face aux revendications insensées de ces hordes d'homos tonitruants.  Je porte encore en moi l'écho de vos cris d'orfraie devant un tel mépris de la morale et de nos traditions.



Mais cette fois, tout de même, votre Eminence, la coupe ne serait-elle pas pleine ?  Sortez donc de votre sacristie et ouvrez les yeux :  vos brebis se sont égarées. Elles courent, dégoulinantes de vulgarité noir-jaune-rouge vers les vendeurs d'idolâtries au cerveau aussi plats que leur écrans, beuglent le Grand Jojo à tour de bras et pensent que les favelas sont un groupe de travestis brésiliens.. pauvres sottes !
Et puis, sacrilège suprême, Monseigneur, comment ne pas condamner au bûcher cet élan national pour vos deux ennemis historiques rassemblés ici en une cabale infernale : le diable, l'ennemi public de toujours (décuplé ici en 23 créatures sataniques et galopantes), et le rouge, cette couleur impropre, rappelant le péché originel mais aussi l'affreux communisme, votre persécuteur devant l’éternel.




Dès lors, Monseigneur, vous qui d'ordinaire êtes si prompt à dégainer, allant récemment jusqu'à scalper  la bêtise de Saint-François d'Assises, ce "benêt  qui prêchait aux oiseaux", puis-je vous demander homme sage et infiniment bon, de prier le Dieu qui hydrate votre cerveau, pour que les  Diables Rouges déclarent forfait dès leur descente d'avion et que les Belges se ressaisissent enfin, en jetant leurs fanions et leurs canettes au milieu d'un feu purificateur ?

En vous remerciant.


Votre fidèle et fielleux serviteur,
David Courier

mardi 27 mai 2014

Un poète s'est évadé



Dans la bibliothèque familiale, à Givry,  il m’observait depuis longtemps. Je le sais. Coincé entre les Mémoires du Général Paton et un vieil ‘Amour de Swann’ en 10/18 écorné, il me voyait, certains soirs d'hiver, entrer à pieds nus, venir effleurer sa tranche, rester un instant devant lui - minute éternelle et silencieuse -  puis repartir doucement dans la maison endormie ... Mais il était patient, le livre. Il savait bien que je finirais par craquer un jour. Quelques années plus tard, bien après la mort de mon grand-père,  je me suis enfin décidé à ouvrir Un été dans la combe. Le choc. 



Depuis j’ai dévoré méthodiquement toute l'oeuvre de Jean-Claude Pirotte, de La pluie à Rethel jusquà Brouillard, dernier et sublime opus de cet éternel adolescent toujours en cavale. Et qui se savait condamné. Je lui devais tellement. Tant de portes ouvertes…la poésie retrouvée, la rébellion, les vins d'Arbois, les livres oubliés d'André Dhôtel et d'Henri Calet,  la vallée la Meuse, la Hollande. Et par monts et par vaux, en cavale à mon tour,  j'ai trainé mes vingt ans et mon admiration pour ce poète évadé jusqu’en Bourgogne et aux confins du Jura, précisément là où il s’est éteint il y a quelques jours. 



Dans ma vie d'homme aujourd'hui, loin de la bibliothèque endormie de mon grand-père, 
il y a un peu de Jean-Claude Pirotte. De sa liberté. Et de ses braises, qui m'aident à vivre.     


jeudi 22 mai 2014

Promettre à l'indicatif présent







Promettre : verbe du 3ème groupe, transitif direct et intransitif.
Peut se conjuguer à la forme pronominale : se promettre
Se conjugue avec l'auxiliaire avoir.


Indicatif présent (les mêmes exemples peuvent être repris à tous les modes et à tous les temps) :

Je promets : 'Votez avec votre temps'
Tu promets :  'Plus forts ensemble'
Il/Elle promet : 'Priorité au bon sens'
Nous promettons : 'Vrais et sincères'
Vous promettez  : 'Faire front'
Ils/Elles promettent : 'Notre avenir est social'






dimanche 11 mai 2014

Garage Citroën, Sainctelette. Dialogue.




13 janvier 2018


- Bonjour, je voudrai acheter un Picasso
- Mais, cher Monsieur, nous n’en vendons pas.
- Plaît-il ?
- Nos Picasso ne sont pas à vendre. 
- Vous n’en avez pas ?
- Si.
- Et bien alors ?
- Vous pouvez simplement les voir.
- Et pas les tester ?
- Mais un Picasso ne se teste pas, voyons.
- Bon, soit. Vous les avez en quelle couleur ?
- Plutôt période bleue. 
- Et c'est tout ? 
- C'est déjà pas mal, croyez-moi.
- Si vous le dites...

 

mardi 29 avril 2014

Un enfant s'est endormi



Avril. La tête contre la vitre du tram,  entre Louise et Darwin, il cherchait du regard une issue, une percée, au-dessus des toits.  Il était à Bruxelles depuis 15 ans. 15 ans sans dormir. 15 ans debout-travail-sandwich-travail-couché. 15 ans à se perdre dans l’air sec des grands bureaux. iI était devenu sec. Stéphanie, Faider, Janson, comme un serpent déterminé le tram filait jusqu’à Ma campagne. C'est là qu'il glissa. Lentement et les yeux fermés.  
Comme dans les photos d’Anne-Sophie Costenoble, un enfant s'est endormi.




Puis s'approchèrent, intriguées, deux vaches, museaux humides.  Plus loin, un cheval. Dans un pré,  une balançoire oubliée. Une paire de lunettes sur une table. Un lit défait. Des mains ridées. Souvenirs de ferme. Un bal aussi, pas très loin de l’Escaut. Et un baiser maladroit. Une nuque. Qu'il n'oubliera jamais.  Voilà. 














Il remonta peu à peu à la surface, aidé par les cahots du tram. Descendit à Darwin. Fut surpris par l'air frais de ce soir d'avril. 







Expo photo d'Anne-Sophie Costenoble, Valérie Callewaert, Marguerite Lagage et Marina Pierard. Jusqu'au 25 mai au Lavoir-conseils, 'Lave, ris et parle', 105, rue de Boncelles, 4102, Ougrée.
Anne-Sophie Costenoble est membre du collectif 'Caravane'
www.acostenoble.be www.acostenoble.be




samedi 19 avril 2014

Le volet mécanique


Bruits d’oiseaux au dessus du parc de Forest. Le soleil entre en scène. Hop, se lever.  Il est tôt mais c’est pas grave. Les os craquent un peu. Dégager un coin de table en poussant les restes d’hier. Prendre un café. Un chat à la fenêtre d’en face. Repenser à cette fille. Ses yeux, sa voix claire, son cul. Sous la douche se surprendre à siffler. Une première. Ca fait un bail.  Choisir un tee shirt dans l’armoire. Le respirer avant de l’enfiler. Et claquer la porte. Ecouter la porte qui claque. Quatre à quatre descendre les marches, la cage d’escalier, le voisin René et partout les yeux de la fille d’hier soir. La rue. Le soleil posé sur un toit, prêt à chauffer. Longer le parc vers Saint-Gilles. Sentir l’hiver qui capitule. En douce. En pente douce. Saint-Gilles est une pente douce. L’hôtel de ville,  la Barrière. Se demander d’où vient ce nom.  Le parvis qui s’ébroue. Un chien qui baille. Premières terrasses. Et quelques chaises encore frileuses. Au Verschueren, reprendre un café.  Juste un. Pour la route, pour le printemps, pour cette fille. Se dire que tout va bien. Que tout ira bien, désormais. Sortir du Verschueren. Vers la porte de Hal. Les mains dans les poches.  Et soudain, au milieu de l'avenue Jean Volders,  apercevoir cet homme. Figé. Devant le volet mécanique de son magasin.




dimanche 13 avril 2014

La chanson d'une ville






- Cette ville pue la mort, toute l’Europe pue la mort.

Je songeais ce matin à cette phrase terrible et prophétique du doutor Pereira, traînant ma carcasse avec S. sur les pentes du Bairro Alto.
L’année 1938,  le Portugal de Salazar et ce journaliste solitaire qui, contre toute attente, décide d’abandonner sa petite vie tranquille, de réveiller sa conscience et de rentrer en résistance.  A travers ces pages, l’Italien Tabucchi y dénonçait par la même occasion le fascisme italien et la guerre civile espagnole. Un coup de maître. Le livre, Sostiene Pereira est  sorti à Rome en 1984 quelques mois avant la victoire de Berlusconi et connut un immense succès de librairie. Quelques années plus tard, le doutor Pereira deviendra d’ailleurs un symbole pour l’opposition de gauche.

Mais Pereira prétend c’est aussi le roman d’une ville, Lisbonne.  A la fois puissante et lascive. Aimante. Omniprésente. Un privilège que, de Dublin à Trieste, seules quelques villes en Europe se partagent. Comme un souffle capturé, une intensité inscrite dans la durée.   
Assis maintenant face à S. au fond d’un restaurant d’Alfama, je prends brusquement conscience que Bruxelles, - Bruxelas, comme on la nomme ici – ne l’a pas, elle, 'son roman'…Et j’ai beau chercher, je n’en trouve aucune trace.  Comment expliquer cette absence, cette désertion ? Et pourquoi suscite-elle si peu d'inspiration à nos auteurs qui, dans leur grande majorité, lui préfèrent Paris ? 



En sortant du restaurant, Lisbonne, la bienveillante, nous prend par la main et nous amène au bord du Tage. S. , que mes élucubrations fatiguent, s'assied sur un banc. Je m'avance vers le fleuve, large et apaisant. Mes yeux se tournent vers le Nord, instinctivement. Et c'est alors que je perçois quelques notes de piano, reconnaissables entre toutes, le commencement du commencement d'une chanson, une ritournelle qui, au fond je le comprends à l'instant,  ne m'a jamais vraiment quitté.
Et qui, faute d'un grand roman, m'a fait aimer ma ville.








vendredi 4 avril 2014

Le crépuscule de Genet






Dans le cimetière chrétien de Larrache, écrasé sous le soleil,  j’ai longtemps cherché la tombe de Jean Genet. J’ai fini par la trouver au bout d’une allée vide et sèche.  Une stèle blanche, en marbre, sans croix, avec deux dates gravées : 1910 - 1986.  Nul bruit tout autour sauf celui, à peine perceptible, de l’océan,  quelques dizaines de mètres plus bas, aux pieds des falaises de Larrache.
L’Atlantique, le Maroc, et Mohamed. Son dernier ami. Un peu plus loin dans la ville, Jean Genet lui avait fait construire une maison.  Grande, spacieuse, à la française. Et surtout avec une bibliothèque.  Il avait croisé Mohamed Katrani quelques années plus tôt dans les rues de Fès. Le jeune homme avait fui l'armée et errait dans les souks de la vieille ville. Il lui renvoyait sa propre image : désertion,  délinquance, vol, prison. L'écrivain français l'a aussitôt pris sous sa protection, s'est arrangé  pour lui trouver un passeport et le faire venir à Paris. En France, Mohamed s'est marié,  un fils est né. Et Genet choisit le prénom,  Ezzedine,  en hommage  à Ezzedine Kalak, représentant de la Palestine à Paris et  assassiné en 1978. 


Jean Genet est mort le 15 avril 1986 dans une chambre d’hôtel, à Paris.
Entre temps, Mohamed et Ezzedine étaient rentrés à Larrache où Genet revenait souvent. Il considérait d'ailleurs Ezzedine comme son petit-fils. Un soir, à Rabat, il a retrouvé Leila Shahid, une amie palestinienne de Paris, proche de Kalak et installée depuis peu au Maroc avec son mari, l'écrivain Mohamed Berrada. La Palestinienne exilée fascine l'auteur des Bonnes et du Balcon. Ils se voient alors de plus en plus fréquemment. Parlent de leurs amours  ( - A chacun son Mohamed, lachait souvent Leila, en forme de boutade), de leurs combats. Et bien sûr de la Palestine. L'écrivain, abandonné dans l'enfance par ses parents, veut comprendre l'exil et l'enfermement d'un peuple.  Il veut voir les camps, parler aux réfugiés. Il tente de persuader Leila qui hésite. Leila, la Beyrouthine, n'a plus vu le Liban depuis bien longtemps.  En septembre 1982, elle se décide enfin. Ils partent pour Beyrouth. Leur avion se pose au moment où, au sud de la ville, commence les massacres de Sabra et Chatila. Crépuscule.

La vision d'horreur de ces massacres ne quittera plus Genet jusqu'à sa mort, quatre ans plus tard. Il écrira deux livres sur le sujet : Quatre heures à Chatila et Le captif amoureux, dédié au peuple palestinien.


Depuis 2005, Leila vit à Bruxelles, avec Mohamed Berrada. Depuis peu, elle est ambassadrice de la Palestine auprès de l'Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg.



lundi 24 mars 2014

L'offense faite à Florence



C'est d'abord un photo-montage plutôt réussi. En tout cas sur la forme (sur le fond, disons-le d'emblée, le propos est abject).
De quoi s'agit-il ? On y voit la statue de David de Michel-Ange tenant dans ses bras un  impressionnant fusil d'assaut sous ce slogan : "AR-50A1, a work of art' (une oeuvre d'art). On notera au passage que cette arme est capable d'abattre une cible à plus d'1km et ce, pour la modique somme de 3000 $. Une petite merveille de technologie (...) commercialisée par la société américaine Armalite, basée dans l'Illinois.

A peine diffusée sur Twitter, cette photo a failli faire s'étouffer l'Italie toute entière qui, du Nord au Sud de la péninsule, crie au blasphème. Et à l'offense.
Le premier choc pour les Italiens est d'ordre moral. Car la provocation, même au pays d'Oliviero Toscani à ses limites. Des limites franchies allègrement et avec cynisme  par Armalite (mais on ne s'attend pas à moins de la part d'un fabricant d'armes).

Le deuxième choc est davantage affectif et culturel. Dès qu'elle fut avertie, Cristina Acidini,  surintendante des Beaux-Arts de Florence,  a immédiatement introduit une mise en demeure judiciaire pour obtenir le retrait de toutes les images détournant le chef d'oeuvre de Michel-Ange. Et toc !
Dans la foulée, son voisin de bureau (ou presque), Angelo Tartuferi, directeur de l'Accademia déclare dans la Repubblica que "la valeur esthétique de l'oeuvre ne peut pas être dénaturée. Et, dans ce cas-ci, il s'agit d'un choix illégal et de mauvais goût." 
La liste des offusqués ne s'arrête pas aux bords de l'Arno, loin de là. En quelques heures, le scandale a gagné les plus hautes sphères de l'Etat. Le Ministre de la culture en personne, Dario Franceschini s'est fendu, il y a quelques jours, d'un tweet à 68 signes : "L'image publicitaire de David armé est une offense et enfreint la loi". Et plainte a été déposée contre le marchand d'armes.

Un tweet habile et qui cible plutôt bien son ennemi.  Car s'il s'était agi d'une oeuvre d'art contemporain en tant que telle, il y en aurait eu plusieurs pour crier au génie, elle serait répertoriée et cotée, galeristes et collectionneurs se l'arracheraient. Etrange leçon, d'ailleurs,  que nous donne en passant cette image, nous faisant croire que l'art contemporain n'aurait plus besoin d'artistes. Et quoi de plus normal,  finalement... publicitaires et artistes usant du même matériel. Les deux s'appuient sur la créativité pour séduire. Au risque d'une confusion des genres qui a été,  rappelons-le,  initiée par un artiste lui-même, Andy Warhol, qui n'hésitait pas à utiliser des techniques de marketing pour promouvoir ses oeuvres.

Oui. Sauf que dans ces prairies grasses de marchandisation hyperactive  où l'art et la publicité se vautrent allègrement,  l'art doit absolument se distinguer du pouvoir marchand. Et se relever. La vente, le marketing sont  créatifs pour être efficace. Soit. Mais l'art se fout d'être efficace. Il donne du sens. Il aide à vivre. C'est son rôle. Il propose une expérience esthétique personnelle et collective. Une civilisation se construit avec de l'art, pas avec des marchandises.
Et, soit dit en passant, se détruit avec des armes.



Allez, pour le même prix, je vous en glisse trois pour la route.








dimanche 23 mars 2014

Borremans : le peintre trompe l'oeil




Au départ, tout paraît simple et, disons–le,  banal. Comme une répétition de peintures anciennes mille fois peintes et mille fois vues. Prenons L'ange de la mort, par exemple : haute silhouette de femme portant une longue robe rose ‘à la Disney’.  Pose classique. Mais très vite le  visage prend toute la place,  un visage qui est une peinture en soi, et ce visage est noir. Plus loin, dans les couloirs de Bozar qui consacre (enfin !) un exposition à l'oeuvre de Borremans, une fillette couchée. Dort-elle, est-elle morte, ou se moque-t-elle de nous ?  Insidieusement,  les tableaux de l'artiste flamand nous  hypnotisent. Et les énigmes affluent. Visages aux yeux vides, corps sans jambes, brusques changements d'échelle, gestes absurdes. Et une violence sourde qui s’installe. Comme un secret.


A Grammont pourtant, la vie paraissait si limpide. Les années 60, les bords de l’Escaut, le magasin de fleurs de maman,  les virées à Gand, les cours de photo.
Un jour, Michaël tombe sur une reproduction d’un Velasquez. Un jour où tout basculeLe maître espagnol va alors le hanter durablement. Dans son atelier de St-Amand - une chapelle désaffectée -  Borremans se met à travailler et retravailler les peintures historiques de Velasquez.  Et celles de  Goya. Et ensuite Manet. Il y fait entrer de la subversion. Comme pour démontrer l'absurdité de la vie.  Il peint au culot et à l'audace. Trompe l'oeil. Trouble l'oeil. Son oeuvre se peuple d'énigmes mais sans jamais tomber dans l'hermétisme. Désormais Borremans - au départ graphiste et photographe - va se consacrer presqu'exclusivement à la peinture. En 2005, repéré par le critique d'art Jan Hoek, il se voit proposer une première rétrospective au S.M.A.K. A Gand. Dans sa ville.  Succès immédiat. A la fois critique et populaire. Les médias s'emballent, le groupe de rock dEus lui commanda même une pochette d'album.




Les expos vont alors s'enchaîner, à commencer par  le 'Cleveland Museum of Art' à Cleveland puis à 'La Maison Rouge Fondation Antoine de Galbert',  boulevard de la Bastille à Paris. Ensuite, le MoMa, le musée d'art contemporain de Denver, le Palazzo Grassi à Venise. A chaque fois,  l'artiste belge et ses personnages mutiques déconcertent  en même temps qu'ils fascinent le public. On pense à Richter, à Sigmar Polke. Avec Luc Tuymans et Thierry de Cordier, il est considéré aujourd'hui comme un des peintres belges les plus importants. Et les plus cotés. Certains de ses oeuvres atteignent les 430.000 euros. Et de New York à Tokyo, les plus grands collectionneurs se l'arrachent.


Ces derniers temps, Michaël Borremans, toujours aussi énigmatique,  s'est pourtant un peu écarté de la peinture sur tableau. Il travaille sur des espaces à trois dimensions, prépare une fresque murale pour la Halle communale de Gand (une commande de l'architecte Pol Robbrecht) et se rapproche du cinéma qui reste, avec la littérature, une de ses grandes passions. Un de ses films fétiches est Frenzy, l'avant-dernier film d'Alfred Hitchcock réalisée en Angleterre en 1972. Un film troublant, angoissant, absurde aussi. Et qui avait évidemment tout pour plaire à Borremans.







Michaël Borremans, "As sweet as it gets"   Bozar
Commissaire : Jeffrey Grove
Jusqu'au 3 août au Palais des Beaux-Arts
www.bozar.be
Carte blanche de l'artiste à la cinémathèque de Bruxelles, choix de quinze films projetés en mars et en avril.
www.cinematek.be





mardi 18 mars 2014

La Senne s'est réveillée





Il n’y a plus de chien marin rue du chien marin
Pas plus que de Brel à la station Jacques Brel


Les Béguines ont fui le Grand Hospice
La vierge noire s’est faite la malle
avec Gudule et Ste Catherine
Restent les moines dans leur rempart
Et les tanneurs  et les boiteux 
Et toute la clique des éperonniers
Le quai aux briques est démonté
Depuis que la Senne s'est réveillée


La bourse s'est même légoïfiée
Plus un seul chat rue de la gouttière
Ni dans l'impasse de la poupée
Fermée la rue de la serrure
Avec la clé d'la rue de la clé
Et ensablé le Grand Sablon
On a brûlé le quai au foin
Depuis que la Senne s'est réveillée


La Senne qui boit les autres scènes
Du Botanique et de l'ab
Du Pathé si pathétique
A l'UGC tellement vulgaire
Pour elle tout ça c'est du ptit lait
Seul l'opéra est épargné
Seuls les chanteurs peuvent travailler
Depuis que la Senne s'est réveillée


On prie déjà place des Martyrs 
Des cierges brûlent aux Ursulines
On met un sou rue des six jetons
Quelques couronnes impasse des roses 
Et des reliques au mont de piété 
On fait la file à la rue Blaes
Pour un ticket rue de la grande île
Depuis que la Senne s'est réveillée




Un chien aboie rue du Grand Cerf 
Il est cinq heures, j'ai dû rêver 






vendredi 14 mars 2014

Kinepolis et la pluie d'argent

Lise. C'était un dimanche triste et pluvieux, comme souvent  à Harelbeke. Deux voitures venaient de passer en trombe, en vous frôlant d'un peu trop près. Une Simca et une autre qu'Albert n'a pas pu reconnaitre sur le moment. Elles filaient droit vers Courtrai, ou peut-être même plus loin, vers Gand. En tout cas, loin d'Harelbeke et de ses pavés mouillés. Et puis soudain,  Albert a glissé sa main dans la tienne. Tu l'as refusée. Pile devant Le Majestiek. Au 13bis, rue de Gand.



Albert Bert avait pas mal d'argent de côté. Alors pour t'épater, un jour il l'a acheté le Majestiek. Avec  sa belle soeur,  Rose Claeys-Vereecke. Comme ça, sur un coup de tête, un coup de sang. Ils en ont fait un complexe à deux salles. Ca a été le premier 'duplex de cinéma' de Belgique, Lise. 1968. Ils ont  engagé du personnel, les gens venaient de loin. Et toi aussi tu venais. Albert t'observait en tremblant,  depuis la cabine de projection. Un soir, tu t'es assise à la  cinquième rangée à côté d'un garçon. Ta tête s'est penchée sur son épaule tandis que celle d'Albert se brisait pour la seconde fois. Il est sorti dans la nuit d'Harelbeke, griffant rageusement au passage la portière de la Simca garée devant le Majestiek.






Les années on passé. Et l'argent rentrait. Facilement. Toujours plus facilement. C'était devenu une sorte de drogue. Albert t'écrivait. Tu ne répondais jamais. Alors, dans les années 70 il a ouvert le Pentascoop (5 salles) à Tournai suivi du Decascoop à Gand. Plus rien ne semblait pouvoir l'arrêter.




En 1988, avec Rose, ils ont construit un cinéma sur le plateau du Heysel à Bruxelles, sur l'ancien site de l'usine General Motors. D'où son petit air de parking automobile. Kinepolis. Une sacrée gueule Lise, ce cinéma. 25 salles. Du 'multiplexe', ils étaient passé au 'mégaplexe'. Et ce fut le succès immédiat avec 3 millions de spectateurs par an. Peu importait la qualité des films, il fallait avant tout de l'action, pour séduire le plus grand nombre. Et remplir les caisses. Dix ans plus tard, les deux familles ont fusionné en une seule entité pour créer le 'Kinepolis group' avec une entrée en bourse en 1998. En quinze ans, ils sontt devenus un des plus gros exploitants de salles de cinéma en Europe. Les premiers à être passés au numérique et  à avoir  dans la foulée développé des salles de projection en 3D. Albert exporta alors son concept à l'étranger. Espagne, Italie, Portugal, Pologne, Suisse. En tout 317 salles furent construites et le groupe engagea plus de 1800 salariés.  En France, Gaumont,  UGC et Pathé ont tous adopté sa formule magique, tuant au passage des dizaines de cinémas de quartier.
Harelbeke et ses pavés mouillés étaient loin, Lise. Trop loin sans doute.
Albert est mort en 2002 à Courtrai, il avait 74 ans. Cétait mon père. Il était très riche. Et toi, tu n'es pas venue à l'enterrement.

C'est moi qui depuis ai repris les rênes du groupe. Et le succès a continué à croître. Avec des films commerciaux et 'faciles', car il fallait avant tout être rentable. A quoi bon prendre des risques inutiles en programmant des films d'auteur ?

D'ailleurs, sur la seule année 2009, 22 millions de personnes ont fréquenté les salles du groupe Kinepolis en Europe. Avec partout  des gains colossaux provenant autant des films eux-mêmes que des friandises, pour l'essentiel des pop corns. D'où l'idée à la fois perverse et géniale de faire payer 3 euros de plus la séance aux spectateurs désireux de voir un film dans une salle où les pop corns sont interdits. Autrement dit, le bénéfice que je perds d'un côté  je le rattrape de l'autre..!


J'ai aussi récemment lancé une chaine de télé numérique et des opérations marketing de grand ampleur.  Comme il y a quelques mois,  cette fameuse 'pluie d'argent' autour du film  'Insaisissables'.



)


Cette pluie d'argent, c'est notre vie, Lise.  Celle d'Albert, et puis la mienne. Celle de l'aventure de Kinepolis et que tu as refusé il y a bien longtemps, devant le Majestiek, idiote que tu es.







samedi 22 février 2014

Un auteur a disparu


L'écrivain m'avait fixé rendez-vous de l'autre côté du canal. Loin du site de Tours et taxis où la Foire du livre fanfaronnait. Saoulante.
Il m'avait soufflé à l'oreille, mystérieux  : "Le saut du coq à l'âne est le sel de la vie", en même temps qu'il glissait dans ma poche l'adresse d'un bistrot rue de Flandres.


C'est là que je l'ai retrouvé deux heures plus tard, silencieux au milieu du vacarme, devant une bière qui se mourrait.  Il n'avait pas quitté son manteau. L'écrivain m'expliqua que son éditeur s'était pourtant occupé de tout : Thalys, chambre double au Sheraton, taxi. La foire du livre elle aussi était au petits soins avec lui. Rien à redire. Mais il s'emmerdait. Une journée entière à sourire, à serrer des mains, à dédicacer à tour de bras (- Mettez 'pour Jacqueline', c'est ma mère, elle vous adore).
Alors, brusquement,  il s'était levé, et, prenant tout le monde à court, sa longue silhouette avait franchi la sortie. Pour rejoindre la rue de Flandres.
- ils sont en train de me chercher partout, ces cons !
L'auteur du Bonheur des Belges  se mit alors à rire de son méfait comme un gamin.
Puis, redevenant grave, il m'expliqua que le mal du pays, qui l'avait habité pendant si longtemps, avait disparu. Comme une douleur qui s'éteint sans qu'on s'en aperçoive. Il s'en était rendu compte ce matin, dans le train qui l'amenait à Bruxelles, cette ville où l'on fait des foires et des congrès, mais où les collections d'art moderne croupissent dans des caves, rue de la Régence. Non loin du conservatoire royal qui s'effondre chaque jour un peu plus.

Le petit café de la rue de Flandres était vide à présent. La nuit s'était avancée et nous sortîmes pour marcher un peu.  Dans une ruelle toute proche, Patrick Roegiers s'arrêta longtemps. Les mains dans les poches, il semblait hésiter. Après quelques minutes, il me sourit et reprit sa marche. Puis il disparut.


lundi 17 février 2014

Jeanne, ma chère Jeanne



 Il avait tourné en rond longtemps ce soir-là. Impossible de trouver une place dans cette foutue ville. Et sa femme qui l’attendait depuis une demi-heure devant le KVS s’était finalement résignée à rentrer dans la salle, juste avant le début du spectacle. On était fin février et l’hiver se trainait…Finalement une place se présenta, quai du commerce. Il gara sa voiture sans trop réfléchir.  Sans vraiment  se presser non plus. De toute façon, le spectacle avait commencé et il savait que les portes resteraient fermées jusqu’à l’entracte. Après avoir claqué la portière, il alluma une cigarette, c’est la première fois qu’il en grillait une depuis dix jours, se dit-il, en constatant qu’il n’arriverait jamais à arrêter de fumer.
Après, il ne sait plus très bien comment le événements se sont enchainés. Il avait écrasé sa cigarette sous sa chaussure et, le cœur battant, s’était dirigé jusqu’au numéro 23, à quelques mètres de sa voiture. Un frisson le traversa de haut en bas. La porte d’entrée n’avait pas changé. Ni le hall où il s’avançait timidement pour monter dans un appartement, en 1974.



Jeanne, il griffonna sur un papier, quelques jours plus tard. Ma chère Jeanne. Tu ne te souviens probablement plus de moi. 40 ans ont passé.  C’est long, 40 ans. Peut-être d’ailleurs es-tu morte, ou alors croupis-tu dans un hospice depuis plusieurs années.  Jeanne, je venais chez toi le jeudi à 17H00, après mon cours de néerlandais.  Tu m’ouvrais en souriant à peine,  tu m’aidais à ôter mon manteau trop lourd d’étudiant. Tes gestes étaient toujours les mêmes.  A la fois tendres et détachés, presque froids. Tu t’enfermais ensuite dans la salle de bain quelques minutes tandis que je m’asseyais sur le bord du lit. Après nous faisions l’amour, jamais très longtemps, jusqu’à ce mon corps maigre se tende comme un arc sur ton ventre,  jusqu’à ce que je reprenne peu à peu mon souffle pendant que tu fixais le papier peint sur le mur, comme à chaque fois. Ce papier peint que je n'ai jamais pu oublier. Pas plus que l'odeur de lessive, ou les pommes de terre au fond d'un seau d'eau, attendant d'être épluchées.  Je n'ai pas oublié non plus le regard d'un garçon - ton fils - , à peine plus jeune que moi, croisé dans cet escalier que je me jurais alors de descendre pour la dernière fois.  
Jeanne, ma chère Jeanne, j'ai appris quelques jours plus tard, par l'épicier du boulevard d'Ypres, que des policiers étaient venus te chercher, que tu n'avais opposé aucune résistance, et que de ce jour-là on ne te revit plus dans le quartier. 
Moi non plus, je n'y étais plus revenu jusqu'à ce samedi soir. Où je n'ai finalement pas rejoint ma femme au théâtre.  Le lendemain, je n'ai pas eu le courage de lui expliquer.
Je n'ai eu aucun courage. Sauf celui, un peu vain, de t'écrire et d'envoyer ma lettre au 23 quai du commerce. Sans espoir de réponse.








Il avait posté sa lettre dans une boîte du centre-ville début mars.  Puis avait marché un peu au hasard, vers la place Ste Catherine. Il savait que Jeanne Dielman n'existait pas réellement, pas plus d'ailleurs que son appartement bruxellois. Que tout cela était sorti de l'imagination de Chantal Akerman. Qu'elle en avait fait un film de 3H20, exceptionnel,  et qu'à l'époque le journal Le Monde présenta comme étant le premier chef d'oeuvre au féminin de l'histoire du cinéma. Il savait aussi que ce film était fondateur, qu'il avait provoqué l'éclosion d'un nouveau cinéma, d'une nouvelle esthétique, et  influencé fortement des cinéastes comme Gus Van Sant (Elephant) et Tsai Ming-Liang (I don't want to sleep alone). 


Il savait tout cela. Il avait juste eu envie d'entrer un peu dans cette histoire. D'entrer un peu dans le cinéma.
Puis, quittant le quartier, il s'alluma une cigarette.