Si la victoire de nos Diables rouges et leur ticket pour le Brésil semblent incontestables, ils font écho dans
mon esprit torturé à la destinée d’un autre Diable rouge, sorti tout droit de
l’imagination (trop ?) fertile du dramaturge français et contemporain Antoine
Rault.
Son ‘Diable rouge’, se présente
comme un drame historique. Le pitch, comme disent les journalistes
pressés, est le suivant : nous sommes en 1656, le Cardinal Mazarin est au sommet de
son pouvoir mais il est vieux et se sait condamné. Il achève l'éducation de son filleul le jeune
roi Louis XIV, sous le regard de la reine-mère Anne d'Autriche et d'un Colbert qui attend son
heure.
Dès la création de cette pièce en 2008 au
théâtre Montparnasse avec entre autres l’excellent Claude Rich, un extrait du texte – un dialogue entre
Colbert et Mazarin - va éveiller quelques soupçons :
Colbert
: Pour trouver de l’argent, il arrive un
moment où tripoter ne suffit plus.
J’aimerais que Monsieur le Surintendant m’explique
comment on s’y prend pour dépenser encore quand on est déjà endetté jusqu’au
cou…
Mazarin
: Quand on est un simple mortel, bien
sûr, et qu’on est couvert de dettes, on va en prison. Mais l’Etat… L’Etat, lui,
c’est différent. On ne peut pas jeter l’Etat en prison. Alors, il continue, il
creuse la dette ! Tous les Etats font ça.
Colbert
: Ah oui ? Vous croyez ? Cependant, il
nous faut de l’argent. Et comment en trouver quand on a déjà créé tous les
impôts imaginables ?
Mazarin
: On en crée d’autres.
Colbert
: Nous ne pouvons pas taxer les pauvres
plus qu’ils ne le sont déjà.
Mazarin
: Oui, c’est impossible.
Colbert
: Alors, les riches ?
Mazarin
: Les riches, non plus. Ils ne
dépenseraient plus. Un riche qui dépense fait vivre des centaines de pauvres.
Colbert
: Alors, comment fait-on ?
Mazarin
: Colbert, tu raisonnes comme un fromage
(comme un pot de chambre sous le derrière d'un malade) ! Il y a quantité de
gens qui sont entre les deux, ni pauvres, ni riches… Des Français qui
travaillent, rêvant d’être riches et redoutant d’être pauvres ! C’est ceux-là
que nous devons taxer, encore plus, toujours plus ! Ceux là ! Plus tu leur prends, plus ils travaillent pour
compenser…C’est un réservoir inépuisable.
Incroyable,
n’est-il pas !?… Quel visionnaire ce Mazarin ! Et dire que cet échange d’une surprenante
actualité a eu lieu il y a 4 siècles… Oui. Sauf qu’en regardant de plus près
cette conversation prétendue ‘historique’, un doute s’installe. Très vite, ce
dialogue va faire le tour du web et devenir l’objet de discussions infinies,
jusque sur le forum du célèbre site HoaxBuster (dénicheur informatique de
canulars et rumeurs de tout poil). Historiens,
linguistes, journalistes, blogueurs, tout le monde va s’en mêler. Le
département ‘Civilisation’ de la bibliothèque de Lyon relève par exemple une série d’éléments
stylistiques propres à notre époque (l’expression ‘comme un fromage’
n’appartient pas au vocabulaire actif des Français du 17ème siècle).
Des historiens indiquent que la classe moyenne n’étaient pas aussi importante à
l’époque de ce cher Mazarin qu’aujourd'hui.
D’autres, par contre, soutiennent que ce
dialogue inspirera 300 ans plus tard à
un certain Karl Marx cette maxime : « La politique des riches
consiste à se servir des pauvres pour appauvrir ceux qui le sont moins ».
Enfin, dans la presse, on se range volontiers
derrière Philippe Tesson, journaliste du Figaro
qui viendra conclure, de façon cinglante, ce débat :
« Peu importent les libertés que prend Antoine
Rault avec l'Histoire. On n'est pas ici à la Sorbonne, on est au théâtre, dans
le registre et la tradition du théâtre dit historique. Il s'agit de séduire... ».
La vérité finira par tomber, quelques mois
plus tard, de la bouche même de l’auteur Antoine Rault. A la question posée par un journaliste : - Quelle
liberté avez-vous prise par rapport aux faits historiques, l’auteur du 'Diable rouge' répondra (enfin) : - La pièce respecte l’histoire , mais c’est
une fiction qui me permet d’aborder un sujet qui nous passionne depuis
toujours : qu’est-ce que nous cachent les hommes qui nous gouvernent ?
Pour conclure avec un sourire, voici l'explication de l'emprunt d'Etat fournie par Fernandel himself dans le film 'François 1er' réalisé en 1937 par Christian-Jacque. Fiction ou réalité ?