lundi 6 janvier 2014

La culture fond plus vite que le chocolat




Ah, le premier article de l’année, les doigts engourdis et  la sensation de marcher dans une neige encore vierge. Sauf que la neige cette année semble faire défaut. Mais soit, cela ne m’empêchera pas de sortir.  Ainsi il y a quelques jours, pour me dégriser l’esprit, je décide de me rendre aux Galeries St Hubert, au courant d’air vivifiant et, pensai-je naïvement, haut lieu de culture.


Bien mal m’en a pris. A peine rescapé de la rue des bouchers, vulgaire et aux odeurs de moules réchauffées, je tombe nez à nez sur une champagnothèque,  terme dont  j’ignorais jusqu’ici l’existence. Première surprise de taille.



Je me frotte les yeux. Pour les ouvrir quelques mètres plus loin sur  ma librairie favorite. Stupeur, elle est amputée de moitié. Il y a dix ans, la librairie Tropismes  s'était agrandie hors les murs avec une nouvelle entrée au n°4 de la Galerie du Roi, et de nouveaux espaces dévolus à la littérature jeunesse, la bande dessinée, les voyages et les loisirs. Mais aujourd'hui, patratras, le libraire a dû rapatrier à la hâte son département 'Jeunesse' dans les rayons Beaux-Arts. Et le personnel, que j'ai croisé, n'est guère rassuré quant à son avenir.



Un peu groggy, je débouche alors dans la Galerie de la Reine. Et à la tristesse succède aussitôt la nausée. Car ils sont tous là, presqu'en troupe, à l'assaut du chaland :  les Marcolini, Léonidas, Neuhaus, Mary, Corné, Godiva, Haagen Dasz. Il y a même le petit dernier, Laurent Gerbaud, venu sauver le bar du cinéma Galeries qui n'en finit pas de couler, après avoir enterré un peu trop triomphalement le cinéma Arenberg.


Mais il faut dire qu'entre le chocolat et la Galerie, c’est une vieille et longue histoire... En 1857, un pharmacien suisse,  Jean Neuhaus, s'installe au n°23. A l'époque, il confectionnait, en toute logique, des bonbons pour la toux, des réglisses pour les maux d’estomac... En fait, c'est son fils Frédéric qui va orienter ses produits vers la confiserie avec, entre autres douceurs, des chocolats fourrés à la vanille. En 1912, la maison met au point des chocolats fourrés de fruits, de pâtes de noix pilées, de crèmes et de liqueurs. La praline était née. Un siècle plus tard, c'est elle qui est devenue la reine des Galeries. Et je me dis, dans un soupir,  que la culture fond plus vite que le chocolat. Car à bien y regarder, hormis la théâtre des Galeries qui résiste - mais jusqu'à quand - aux assauts des maitres chocolatiers , les lieux réservés à la culture (disquaire, galerie d'art ...) semblent fondre  les uns après les autres, comme une praline dans la bouche d'un touriste pressé.




A la terrasse du Mokafé, Alexandre Grojean, le gestionnaire des Galeries tente de se racheter une bonne conscience. Le pauvre homme, s'asseyant à ma table, me glisse à l'oreille que la maison Flammarion rumine le projet d'ouvrir bientôt ici un hôtel littéraire.  Et cela, cher Monsieur 'Rabat-joie', devrait attirer chez nous les touristes les plus exigeants, ajoute-t-il avec un sourire conquérant.  Car la culture est plus vivante que jamais, renchérit-il,  me montrant du doigt un couple de japonais poussant la porte du  Musée des Lettres et Manuscrits  (en réalité une succursale d'un musée parisien dont la boutique est presque aussi grande que le musée lui-même, mais soit.) Bref, conclut-il en se levant soudain, ces Galeries doivent devenir un pôle touristique haut de gamme.  Et de disparaitre dans la foule bigarrée, avec la démarche d'un Leonidas ayant fini par réussir à vaincre les Perses. 



Racrapoté sur ma chaise et dans une humeur noire, je songe à Baudelaire, qui non loin d'ici griffonna un pamphlet ahurissant de haine nommé 'Pauvre Belgique !'... Et qui, par bien des aspects, n'a pas pris une ride.



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