samedi 18 janvier 2014

Les moulins à vent




Il avait été soulagé d’apercevoir enfin le bout de la chaussée de Gand. Soulagé et rassuré. L’heure était tardive, on était en janvier. Il avait marché longtemps dans Molenbeek, et ses pieds lui faisaient mal. Il s’arrêta un instant sur le pont du canal et  fixa les eaux noires d’où la nuit semblait monter. Au loin, les voitures s’éloignaient en ruban vers la gare du midi et Saint Gilles. C’est à peu près à cet instant-là qu’une image oubliée refit brusquement surface : son cahier d’écolier – 1ère primaire, il s’en rappelle à présent - dont le côté gauche de la  marge était couvert de dessins.

Rester immobile dans l’air frais le fit frissonner. Il poussa la porte du Bistrot du canal et vint s’asseoir près de la fenêtre. On lui apporta le plat du jour. Il le trouva goûtu, il aimait bien ce mot  désuet. Il prit un deuxième verre de vin rouge, sur les conseils du patron. Il avait le temps, il était seul et il aimait ça, avoir le temps et être seul. La buée sur les vitres l’empêchait de voir ce qu’il se passait dehors, vers le canal, vers Molenbeek. Mais il ne passait rien. Et il le savait.  Il venait d’en faire le constat amer. Le canal est comme la marge de son cahier d’écolier. Sauf qu’au-delà, il n’y a pas de dessin. Au-delà , il n’y a pas de théâtre. Pas de musées exposant des oeuvres d’art. Au-delà du canal, il n’y a pas de cinéma digne de ce nom, pas de librairie. Il n’y a pas de librairie au-delà du canal. Il avait parcouru Molenbeek, dans tous les sens. Il avait même poussé jusqu’à Jette, était monté à Koekelberg , Ganshoren et Berchem Ste Agathe. Rien.  Il n’avait rien trouvé. Une sorte de  désert culturel. A perte de vue.



Il en était arrivé là dans ses pensées quand le patron, qu’il n’avait pas vu venir,  lui posa une question  dont il ignorait sans doute la portée :
- Vous désirez autre chose ?

Il sourit sans répondre.  Se leva pour payer, mit son manteau et sortit. De nouveau il frissonna. Il longea une dernière fois le canal. Cette fois, on distinguait à peine les eaux noires. Il marcha longtemps, face au vent, quand un bruit à la fois étrange et familier le ramena à la mer du Nord de son enfance. Il leva les yeux. Il aperçut un moulin à vent. Et puis un autre et encore un autre. Des dizaines de moulins à vent qui tournaient au dessus du canal. Et qui annonçaient joyeusement une année culturelle à Molenbeek.  

Il ferma les yeux. Et n’écouta plus que le vent que les moulins tentaient de retenir.


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