lundi 9 septembre 2013

Les chiffres et la lettre



 Comme chaque année à pareille date, la rentrée littéraire s’accompagne d’une déferlante chiffrée et fastidieuse dont les médias sont friands.  Quant au public – et à fortiori les lecteurs -   l’intérêt réel qu’il pourrait porter à ce type d’informations reste encore à prouver.
555 nouveautés littéraires cette année,
150.000 exemplaires imprimés pour le dernier E.E Schmitt et ses perroquets,
22ème livre pour Amélie Nothomb,
2600 m2 en plus pour la librairie Filigranes…
Arrêtons ici le supplice.
Le livre, avant même d’être lu, est donc assommé par les chiffres, étouffé, sonné, au bord du K.O.  
Et au bord du doute, aussi. Je songeais à tout cela ces jours-ci, promenant ma mélancolie automnale Avenue des Arts, non loin de cette librairie Filigranes qui,  si on n’y prend garde, finira bien par joindre un jour la rue de la Loi à la rue Belliard.


 Ma mélancolie, donc,  conduisit naturellement mes pas au square Frère-Orban. Sous les arbres, je me mis alors à songer à cet hôtel de Trieste où je me trouvais avec S., il y a de ça à peine deux semaines. Trieste, ville grave et belle, encore et toujours hantée  par les ombres torturées d’Umberto Saba, James Joyce et  Italo Svevo. 
L’endroit où nous logions, au cœur de la ville, se nommait étrangement  'Résidence 6A'.   S. qui s’était renseignée auprès du propriétaire m’expliqua qu’il s’agissait là d’un hommage à Svevo. La 'Résidence 6A' comptait 6 chambres, chacune portant en effet  le nom d’un personnage féminin imaginé par l’écrivain triestin, et commençant par la lettre A.  Nous dormions dans la chambre d’Augusta, voisine de celle d’Alberta, et d’Ada. Un peu plus loin, sur l’autre palier, nos trouvions les portes d’Annetta, d’Amalia et d'Angiolina.  
Une idée à la fois simple et charmante qui me poussa à me replonger aussitôt dans la lecture de La Conscience de Zeno,  oeuvre immense et roman courageux sur la culpabilité publié par Italo Svevo en 1923.  
Je m’y plongeai avec tant de délectation que j’en vins à oublier les sirènes toutes proches de la rentrée, hurlant à la ronde leurs chiffres et leurs auteurs à la mode. 

Coupable moi ? Certainement. Et la faute que j’assume avec allégresse est celle d’avoir préféré la lettre aux chiffres.  

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