dimanche 13 avril 2014

La chanson d'une ville






- Cette ville pue la mort, toute l’Europe pue la mort.

Je songeais ce matin à cette phrase terrible et prophétique du doutor Pereira, traînant ma carcasse avec S. sur les pentes du Bairro Alto.
L’année 1938,  le Portugal de Salazar et ce journaliste solitaire qui, contre toute attente, décide d’abandonner sa petite vie tranquille, de réveiller sa conscience et de rentrer en résistance.  A travers ces pages, l’Italien Tabucchi y dénonçait par la même occasion le fascisme italien et la guerre civile espagnole. Un coup de maître. Le livre, Sostiene Pereira est  sorti à Rome en 1984 quelques mois avant la victoire de Berlusconi et connut un immense succès de librairie. Quelques années plus tard, le doutor Pereira deviendra d’ailleurs un symbole pour l’opposition de gauche.

Mais Pereira prétend c’est aussi le roman d’une ville, Lisbonne.  A la fois puissante et lascive. Aimante. Omniprésente. Un privilège que, de Dublin à Trieste, seules quelques villes en Europe se partagent. Comme un souffle capturé, une intensité inscrite dans la durée.   
Assis maintenant face à S. au fond d’un restaurant d’Alfama, je prends brusquement conscience que Bruxelles, - Bruxelas, comme on la nomme ici – ne l’a pas, elle, 'son roman'…Et j’ai beau chercher, je n’en trouve aucune trace.  Comment expliquer cette absence, cette désertion ? Et pourquoi suscite-elle si peu d'inspiration à nos auteurs qui, dans leur grande majorité, lui préfèrent Paris ? 



En sortant du restaurant, Lisbonne, la bienveillante, nous prend par la main et nous amène au bord du Tage. S. , que mes élucubrations fatiguent, s'assied sur un banc. Je m'avance vers le fleuve, large et apaisant. Mes yeux se tournent vers le Nord, instinctivement. Et c'est alors que je perçois quelques notes de piano, reconnaissables entre toutes, le commencement du commencement d'une chanson, une ritournelle qui, au fond je le comprends à l'instant,  ne m'a jamais vraiment quitté.
Et qui, faute d'un grand roman, m'a fait aimer ma ville.








Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire